Publicités fantômes

Le spectre des publicités murales d’antan hante la métropole. Rafraîchis de quelques coups de pinceau, ces ghost signs pourraient être bien utiles aux commerçants.

En se baladant sur le boulevard Saint-Laurent, des passants explorent les vitrines des commerces. Aucun d’entre eux ne remarque, au coin de la rue Saint-Cuthbert, la publicité murale de Coca-Cola, qui dort depuis près d’un siècle sur le mur d’un bâtiment. Autrefois d’un rouge vif et d’un blanc immaculé, cette image n’est aujourd’hui qu’un alliage de couleurs fanées. Durant les années folles, de telles publicités brillaient sur les murs bordant la Main, parmi les néons, les danseuses burlesques et les jazzmen. Aux yeux de certains amoureux du patrimoine, remettre en valeur ces images plutôt que de les laisser disparaître pourrait être un véritable coup publicitaire.

«Ce n’est pas croyable qu’elles soient encore à l’abandon», se désole le consultant en patrimoine commercial et mise en marché, Denis Paquet, en parlant des fresques décolorées et rongées par le temps. Par passion, ce dernier s’est lancé, en 1997, dans la sauvegarde de ces publicités. Il aide les propriétaires intéressés à obtenir l’autorisation pour redonner vie à des publicités murales et coordonne les opérations de restauration. Le visage illuminé, il imagine toutes sortes de concepts de fresques réanimées à l’aide de couleurs et de néons. Pour lui, une compagnie comme Aldo pourrait restaurer une vieille publicité de cordonnier, puis y ajouter son nom. «Ce genre de publicité se détacherait tellement du lot!» lance-t-il.

Avec les lois actuelles, il serait impossible d’acheter un tel espace publicitaire, selon Denis Paquet. Les fresques antiques échappent à la législation parce qu’elles font partie du patrimoine commercial. Certaines compagnies ont compris cette astuce; le Montréal des années 1920 reprend vie, une fresque à la fois. Des propriétaires plus créatifs décident même d’orner un mur vierge d’une telle image. Le lettreur Pierre Tardif a d’ailleurs été contacté par le dirigeant du magasin Harley-Davidson de la rue Saint-Jacques à Montréal, Raymond Gref, pour reproduire la publicité qui se trouvait autrefois sur un mur extérieur de l’usine de la compagnie. «Il voulait que je refasse cette réclame pour rappeler les débuts de l’entreprise, tout en y donnant une allure centenaire», raconte l’artiste.

Le lettreur a utilisé les techniques de calligraphie de l’époque pour tracer ladite fresque. «Un effet abîmé n’aurait pas pu se faire à l’ordinateur, admet le spécialiste de la lettre. De loin, ça aurait pu passer, mais de proche, on n’aurait pas eu l’effet désiré.» Après avoir dessiné le logo sur un grand carton, il l’a reproduit sur le mur. Même si Pierre Tardif tient à utiliser les techniques de l’époque, il a dû se servir de peinture moderne. «Celles des années 1930 étaient faites à base de pâte de plomb, explique-t-il. Elles ont été interdites sur le marché une décennie plus tard.» La création a exigé 40 heures de travail et a coûté 5 000 $.

En 2009, une gigantesque pinte de lait en trois dimensions — qui orne l’ancienne laiterie Guaranteed Pure Milk Co. Limited — a été sauvée en partie grâce aux initiatives de l’organisme Héritage Montréal. La construction, autrefois surnommée la «dame en blanc», était grugée par la rouille. Les travaux de restauration lui ont permis de retrouver sa blancheur d’antan. «L’équipe de restauration comptait environ quatre ou cinq peintres et un lettreur», indique le directeur des politiques pour l’organisme Héritage Montréal, Dinu Bumbaru. Les coûts d’un tel projet s’élèvent à des milliers de dollars, selon lui.

Gare aux amateurs

«Les villes n’acceptent pas que n’importe qui barbouille ces publicités», précise Denis Paquet, en ricanant. La réputation que ce dernier s’est faite dans le domaine et l’appui qu’il a obtenu de la part de diverses organisations d’envergure, dont l’UNESCO, lui permettent d’obtenir l’approbation de la ville pour de tels projets. Il travaille avec des équipes techniques composées de peintres du domaine cinématographique. Pour sa part, le lettreur Pierre Tardif, qui est l’un des seuls à exercer ce métier au Québec, met en garde les propriétaires qui veulent faire appel à des amateurs pour restaurer des fresques commerciales. «Si le dessin de base de la publicité est fait à l’ordinateur, ça n’aura pas une allure d’époque. Les lettres de l’époque n’étaient pas faites en Helvetica!» Pour lui, il est essentiel de faire affaire avec un as de la lettre qui saura conserver l’essence de la fresque.

Il faudra plus que quelques coups de pinceaux pour redonner le lustre aux fresques du Restaurant Morel, du Tabac Old Chum et des limousines Légaré. «Dans beaucoup de cas, ce sera difficile de les sauver», admet Denis Paquet, sur un ton nostalgique. Les briques sur lesquelles repose une publicité sont parfois imbibées d’eau à cause du manque d’entretien. Il tentera tout de même d’en préserver le maximum, redonnant aux murs montréalais leurs couleurs d’autrefois.

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Si les publicités d’antan sont laissées à l’abandon, les murales artistiques prennent d’assaut la métropole. Ces projets sont toutefois voués à disparaître. «Nos peintures sont beaucoup moins durables que celles qui étaient utilisées dans le temps», explique l’artiste peintre muraliste Jean Pronovost. Puisque l’artiste utilise une peinture non-toxique à base d’eau, ses murales ont une durée de vie moyenne de 10 ans, après quoi certains propriétaires laissent tomber. Aux yeux du professeur au département d’histoire de l’art de l’UQAM, Raymond Montpetit, dans certains domaines du patrimoine, la seule solution est l’archivage. «Le mieux qu’on peut faire avec les fresques, c’est de le photographier avant qu’elles ne disparaissent.»

Crédit photo :  Myjolnyr, Flickr

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