Le syndrome de Foglia

Octobre. C’est un mois ennuyant. Vous ne trouvez pas? Il y a, certes, les couleurs dans les arbres, mais les sentiers pédestres du Québec sont embourbés comme le pont Champlain un mercredi matin. Si tu veux voir les couleurs – le rouge écarlate des érables de Lanaudière, le jaune paille des bouleaux de la Montérégie – y’a trop de monde et c’est raté. Octobre, bref, c’est un mois ennuyant. Parce qu’à part les couleurs, il ne se passe rien.

En octobre, donc, je m’emmerde. Il mouille. Il fait simili-froid, simili-chaud. Je mets mon manteau? Ma veste? Un foulard? Pas de foulard? C’est emmerdant. Assise à mon bureau, je regarde par la fenêtre la monotonie automnale, j’ai une chronique à écrire et je n’ai rien à vous dire d’intéressant. Alors je fais un pastiche de Foglia. Je parle pour rien dire, mais en bout de ligne, vous verrez, ça voudra peut-être dire quelque chose.

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En parlant de pastiche. Ça me fait penser aux copies.

Dans mon iPhone, j’ai la discographie complète de Beck, de Kanye West, de Joseph Arthur, des Beatles – évidemment. J’en écoute souvent, des Beatles. Surtout à vélo, le samedi matin, tranquille. «Her name was Magil and she called herself Lil, but everyone knew her as Nancy». Ma préférée. J’ai toute cette musique sur mon iPhone et je n’ai pas déboursé une cenne pour les obtenir. Oui, oui. Je suis un pirate. Je suis un flibustier de l’art, un brigand 2.0. Ce sera dit.

Ma tendre colocataire a collé trois petites affiches du très populaire Andy Warhol sur notre vieux réfrigérateur. Le soir avant de m’endormir, j’écoute des Prison Break. Je sais, je suis quatre ans en retard. J’ai aussi vu le film Looper avant même qu’il sorte en DVD. Bruce Willis n’y est pas particulièrement bon, au fait.

Je me procure avec un plaisir non dissimulé des copies d’œuvres d’art inspirantes avec lesquelles je décore mon petit appartement. Je ne me targue pas d’avoir des œuvres authentiques : j’en ai des copies qui m’ont coûté 20 $ et ça convient parfaitement à mes objectifs de décoration. Je ne me pose pas plus de questions.

Bref, pour tout vous dire, je télécharge illégalement de la musique, des films, j’écoute des téléséries en streaming. Encore là, je ne me pose pas plus de questions.

Vous le savez, je ne suis pas la seule. Êtes-vous des pirates, vous itou?

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Là où le bât blesse, c’est lorsqu’on copie les artistes québécois. Alors là, pas touche! J’ai des principes, quand même… J’ai mon propre code éthique en matière de téléchargements illégaux et autres pirateries numériques, que je pensais original. Mais il paraît que non : il est tout ce qu’il y a de plus commun. La plupart des gens de ma génération ont adopté un tel code éthique sans me le dire.

Selon une étude de Culture Montréal publiée à la fin sep- tembre (La participation culturelle des jeunes à Montréal – Des jeunes culturellement actifs), les 18 à 24 ans observent «une certaine éthique de téléchargement, […] soit une conscience de l’importance de rémunérer les artistes québécois».

Je me dis que ça fait déjà bien ça de pris. Et que pour ma discographie complète des Beatles, tant pis. Je me fais l’avocat du diable et je vous fait un aveux : il n’y a rien de très grave dans le fait de télécharger illégalement de la musique des artistes américains ou européens déjà multimillionnaires.

Je me dis que, quelque part, toutes ces copies permettent de faire vivre l’art, assurent la pérennité des créations artistiques. Aujourd’hui, on vit l’art autrement. Est-ce que ça en vaut la chandelle? À vous de me le dire.

À chacun son éthique.

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Lance Armstrong s’est finalement vu privé de ses sept titres de champion du Tour de France. «Ben bon pour lui, nanananana», que je vous entends dire. Au fond, c’était le meilleur des tricheurs.

Audrey Desrochers
Chef de pupitre Culture
culture.campus@uqam.ca

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