Les militaires accrochent leurs bottes d’armée et rangent leurs canons. Le retour d’une mission signifie regagner le quotidien. Un défi de taille qui peut devenir une zone de chocs.
L’avion ramène à bon port les militaires. En voyant l’engin atterrir, les familles planent. Leurs doutes et leurs angoisses peuvent enfin se poser. Un enfant vole dans les bras de son père, une épouse a la tête dans les nuages et les caméras croquent le retour des effectifs. Ces clichés émouvants ne montreront pas le conflit intérieur qui attend ces familles: celui pour revenir à la vie normale. Cet avion de retour, le Capitaine Anderson* l’a pris à trois reprises à la suite de ses missions en Somalie, au Rwanda et en Afghanistan. Chaque fin d’opération peut peser lourd. C’est toutefois au terme de son déploiement au Rwanda dans les années 90 que le Capitaine a vécu sa plus grande zone de turbulences.
Le retour au quotidien après une opération est un vrai parcours de combattant. Dès son arrivée, le militaire peut éprouver des difficultés à retrouver sa place dans une famille qui s’est réorganisée lors de son absence. «Trouver un équilibre est le plus gros défi qui attend le militaire: retrouver un juste milieu entre vie de couple, vie familiale et routine», explique la coordonnatrice aux interventions du Centre de la famille de Valcartier, Sylvie Gagnon.
Après des incidents traumatisants, le Capitaine Anderson a développé un choc post-traumatique qui n’a été diagnostiqué que dix ans plus tard. À cette époque, le syndrome post-traumatique soulevait beaucoup de préjugés. «Pour moi, il n’était pas question de demander de l’aide. C’est quoi ça de l’aide!» s’exclame le Capitaine en se remettant dans son état d’il y a plusieurs années. «J’étais physiquement là, mais mentalement, j’étais soit au travail, soit au Rwanda», explique-t-il d’un ton neutre. C’est un stress important qui plane sur les familles lorsqu’elles voient leur proche changé par ces séquelles. «L’épouse s’attend à partager de nouveau les responsabilités familiales au retour du militaire. Toutefois, la personne qui a un syndrome post-traumatique ne peut les prendre et devient en quelque sorte un fardeau de plus», déclare le Capitaine Anderson. C’est une des raisons pourquoi un nombre important des personnes atteintes d’un syndrome post-traumatique se séparent de leur conjoint.
Soutien des petites troupes
Les mots ne venaient pas au Capitaine Anderson pour expliquer à sa famille ce qu’il avait vécu ou pourquoi il était ainsi. «J’en ai parlé un peu à ma femme, mais presque pas à mes enfants, raconte-t-il. On comprend assez rapidement que les gens ne peuvent pas saisir ou réaliser ce qu’on a vécu. Ça ne s’explique pas.» Comme le Capitaine Anderson, plusieurs préfèrent éviter le sujet avec leur progéniture. «Le problème est que les enfants comprennent plus que l’on pense. Ils réagissent au stress, note Sylvie Gagnon. Ils savent que quelque chose a changé et mettent la faute sur eux. Il est nécessaire de leur expliquer clairement ce qui se passe.» Les enfants du Capitaine Anderson avaient senti une différence dans son comportement. «Ils me disaient souvent que je me parlais seul. Aussi, j’étais dur avec eux. Je leur disais ce qui était bon pour eux, sans vraiment écouter ce qu’ils voulaient.»
Pour Sylvie Gagnon, communiquer avec le jeune lui permet de conserver une place importante dans le processus de réintégration du parent. «Cela permet à l’enfant de rester un enfant.» Le Centre de la famille de Valcartier organise aujourd’hui des groupes de discussions entre jeunes. Le but est de les laisser s’exprimer et de rendre positif ce qu’ils vivent. «Les enfants se parlent ouvertement. C’est naturel et simple pour eux.»
Aujourd’hui, les militaires comme leurs familles jouissent d’un encadrement à la suite d’une mission. «Au Canada, il y a plus de 378 professionnels de la santé mentale. Ils mettent en place des ressources adaptées à toutes éventualités. Le pays possède le plus haut ratio de l’OTAN en ce qui concerne les professionnels de la santé mentale et les militaires», décrète le Major Blackburn. Les membres de l’armée sont suivis par une équipe de professionnels trois mois après leur arrivée au Canada. «Entre ce qu’il y avait à l’époque et ce qu’il y a aujourd’hui comme système d’aide, c’est le jour et la nuit», déclare le Capitaine Anderson.
D’ici à là-bas
Aujourd’hui, Skype, Facebook et autres outils de communications aident à garder contact. Ils favorisent la conservation du lien familial. Ils ne sont toutefois d’aucun recours lorsqu’un enfant est en bas âge. Éloigné sur une longue période, il arrive que le bambin ne reconnaisse plus le parent. «C’est un facteur de stress pour le militaire de savoir que son enfant ne le reconnaîtra pas lors de son retour», déclare le Major Dave Blackburn, travailleur social en charge de la cellule d’éducation et de formation en santé mentale, QG du Groupe de services de santé des Forces canadiennes. Au moment de ses déploiements en Somalie et au Rwanda, le Capitaine Anderson raconte qu’il en était autrement. «Nous n’avions que 5 minutes de téléphone par semaine, alors j’écrivais beaucoup de lettres à ma famille. Mon aîné ne pouvait pas encore lire. Je rédigeais donc comme si je lui parlais et sa mère lui lisait par la suite.» À sa mission en Afghanistan, la communication était beaucoup plus accessible.
Le Capitaine Anderson a finalement posé ses bagages lourds d’incidents. Son diagnostic de syndrome post-traumatique permettra à sa famille de comprendre par quoi il est passé. Les mots manquent encore parfois, mais le militaire est sorti de la zone de turbulences.
* nom fictif
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