Le français est une œuvre d’art

Tous les jeunes rêvent d’avoir leur permis de conduire. Lorsqu’on entame son apprentissage de la route, on voit tout le chemin à parcourir: les dangers de la route à maitriser, son Code à apprendre. Puis, un beau matin, l’évaluateur est là. L’examen se passe bien, mais le stress, une erreur, ou une mauvaise préparation renvoie l’élève dans ses manuels de conduite. On repasse l’examen, et après cinq tentatives, ça y est, on l’a!

Pourtant, avoir son permis n’est pas gage de qualité. On voit chaque jour des fous du volant côtoyer des personnes responsables dans le trafic. Il se peut même que ce fou ait réussi son examen du premier coup, alors que l’honnête conducteur l’a eu après un bon nombre de tentatives. Ce même fou a passé outre les notions apprises pour l’examen de conduite. D’autres, au contraire, apprennent de leurs erreurs afin de devenir de meilleurs conducteurs. Et certains sont condamnés à passer leur permis à perpétuité, sans se rendre compte qu’ils ne seront jamais doués pour cela. Que faut-il donc retenir?

1. Avoir passé son permis une fois ou dix fois ne fait pas de vous un bon conducteur. Il suffit d’être assez bon une fois pour avoir un papier valide toute sa vie. 2. La conduite est une compétence qui s’acquiert avec l’expérience. Quand on obtient son numéro de permis, surtout à l’adolescence, on va tenter ses limites. On fait très vite fi des cours de conduites moralisateurs pour s’adonner aux joies de la liberté motorisée. 3. Remplacez «conduite» par «français» et «permis de conduire» par «TECFEE», et vous comprendrez où je veux en venir.

Depuis que le ministère de l’Éducation a rendu possible le passage du test de français un nombre illimité de fois, plusieurs mauvais élèves reviennent sur les bancs de l’école. Mais il faut se demander: pourquoi en sont-ils arrivés là? Un français jugé trop complexe? Regardez autour de vous, beaucoup d’immigrants font l’effort de parler le français et de façon correcte, en très peu de temps. Des cours d’université problématiques? Peut-être. S’ils viennent en cours, les étudiants peuvent tomber sur des enseignants qui n’ont pas connu le stress de ce test et tout ce que cela implique dans un cursus scolaire. La faute au système éducatif québécois? Très probablement.

Le français est un granit qu’on sculpte à la pointe depuis son entrée au primaire. Un étudiant qui s’en vient à l’université avec une roche à peine écorchée peut difficilement espérer la finir, vite fait bien fait, au marteau-piqueur. Ce n’est pas un lieu de rattrapage des lacunes accumulées depuis le début de sa scolarité – que cela soit par négligence de l’élève ou par défaillance pédagogique – mais bien un endroit de peaufinage de ses connaissances, par des petites retouches de ce qui est devenu un chef d’œuvre du Malgré tout, il se peut qu’après des heures à bucher les règles les plus sombres de la langue de Molière, l’étudiant, par magie, obtient le graal de son cursus. À lui, alors, de faire le choix de garder en mémoire ses règles nouvellement (ré)acquises ou de devenir un fou du volant du français. Devenu enseignant, il aura alors la responsabilité d’enseigner le français au travers de sa matière à de jeunes étudiants qui se casseront les dents, à leur tour, sur un test de français qu’on jugera toujours aussi difficile. Un cercle vicieux, certes, mais l’essentiel est là: tous les étudiants en enseignement rêvent d’avoir leur TECFEE…

Arnaud Stopa
Chef de Pupitre UQAM
uqam.campus@uqam.ca

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