Être ou ne pas être accessible?

Alors qu’il blâmait l’Université McGill pour avoir privatisé sa maîtrise en administration des affaires l’an dernier, le gouvernement du Québec lui permet dorénavant d’offrir une version révisée du programme à plus de 30 000 $ par année. Les étudiants en ont-ils pour leur argent ?

L’an dernier, l’Université McGill et le ministère de l’Éducation se battaient dans l’arène médiatique au sujet de la privatisation de la maîtrise en administration (MBA) de la prestigieuse institution. Mais le glaive s’est récemment transformé en branche d’olivier, grâce à quelques coups de crayon dans le descriptif du programme.

Les 57 étudiants à la MBA paieront dès cet automne 32 500 $ par année pour leurs études, avec la bénédiction de la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp. Le ministère affirme que «l’Université McGill donnera un caractère spécialisé à son programme en accentuant son orientation en affaires internationales», en imposant des séjours à l’étranger et en garantissant que la majorité des professeurs viendront de l’extérieur du pays.

Toutefois, certains estiment que, concrètement, le programme restera le même. Le président de l’Association des étudiants de la MBA de McGill (MBASA), Pat Tenneriello, est l’un des sceptiques. «La version des événements qui se veut officielle indique que la MBA est plus spécialisée. Mais en fait, le programme n’a pas tellement changé, nuance-t-il. Nous avions déjà des professeurs de l’extérieur du pays ainsi que des voyages obligatoires dans le cadre des cours.» L’attaché de presse de la ministre de l’Éducation, Dave Leclerc, assure quant à lui que la nouvelle MBA n’a «rien à voir» avec son ancienne version, mais ne donne pas de détails sur les changements effectués. «Je ne peux pas dévoiler les modifications, mais leur nouveau programme est très spécialisé pour une clientèle particulière.»

Pour la présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), Martine Desjardins, cette décision du gouvernement témoigne plutôt d’une incapacité de sévir face à l’une des universités les mieux cotées au monde. «Le ministère de l’Éducation n’a pas les reins assez solides, croit-elle. McGill a un peu ri de la situation.» L’Université justifie la hausse en mentionnant sa récente montée dans divers palmarès des universités. L’institution a, entre autres, fait les manchettes pour sa 17e place mondiale au palmarès des meilleures universités du monde, selon la firme britannique QS. McGill estime donc que cette hausse de prix de la MBA est capitale pour continuer de se classer parmi les meilleurs.

Martine Desjardins balaie cependant ce prétexte du revers de la main. «L’argument du classement international de McGill ne tient pas debout, juge-t-elle. Même avec des frais accessibles, l’Université se classait déjà parmi les meilleures au monde.»

Long bras de fer
En janvier 2010, l’Université McGill a annoncé ses intentions de demander 29 500 $ par année pour son programme de MBA. Michelle Courchesne, ministre de l’Éducation de l’époque, a alors sommé l’institution rebelle de renoncer au projet, brandissant la menace de sanctions.

La rectrice de l’université, Heather Monroe-Blum, a fait valoir ses arguments devant l’Assemblée nationale lors de la rentrée scolaire, mais la nouvelle ministre, Line Beauchamp a sévi. Elle a imposé une amende de 2 M$ à l’institution fautive. Néanmoins, elle a fait valoir que le gouvernement était prêt à accepter le projet si le programme se spécialisait, à l’instar de la MBA pour cadres à 72 000 $ que McGill offre avec le HEC. L’idée n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd, puisque l’Université McGill vient d’apaiser les craintes de la ministre en offrant un tout nouveau programme «spécialisé».

Toutefois, le ministère de l’Éducation a retiré l’accès aux bourses de l’Aide financière aux études pour les étudiants de la MBA depuis l’année scolaire 2010-2011. Ils n’ont maintenant droit qu’à des prêts à faible taux d’intérêts, et la récente entente n’y changera rien. Pat Tenneriello, lui-même bénéficiaire des prêts et bourses, avoue avoir été pris de court lorsque le gouvernement a transformé ses 6 000 $ de bourses en prêts sans le prévenir. Il prévoit être endetté d’environ 80 000 $ après sa maîtrise. «Évidemment, j’aurais aimé que le gouvernement nous annonce ce changement, déplore-t-il. Je suis un peu plus endetté, mais ça en vaut le coup. Nous voulons la meilleure éducation possible, alors cette maîtrise est un excellent investissement.»

À chacun sa clientèle
Pour Robert H. Desmarteau, directeur des programmes de MBA à l’UQAM, la décision de privatiser la MBA de McGill n’est qu’une question de faire le plus de profits possible sur le dos des étudiants. En comparaison, chaque étudiant à la MBA à l’Université du peuple doit débourser moins de 5 600 $ en frais de scolarité. L’Université, elle, reçoit 12 000 $ de subventions pour chaque élève. Le prix coûtant d’un programme à l’UQAM s’élève donc à 17 600 $, moins du tiers de celui que propose sa concurrente anglophone. «L’Université McGill évoque un voyage pour justifier la hausse, mais elle se fait bien du profit en fixant ces prix, compare-t-il. Elle ne renoncera pas aux subventions gouvernementales pour quelques milliers de dollars supplémentaires.»

Pas question de privatiser les programmes MBA à l’Université du peuple, selon Robert H. Desmarteau. Seul programme public en son genre au Québec, la MBA pour cadres de l’UQAM est disponible dans 14 pays, sur quatre continents, et offre aussi des séjours à l’étranger qui ne sont toutefois pas inclus dans le prix. «L’UQAM prône l’égalité et l’accessibilité. La nature de l’enseignement reste la même dans toutes les universités, que ce soit dans un programme de 6 000 $ ou de 60 000 $. L’air est peut-être plus oxygéné sur la montagne que dans le centre-ville», blague-t-il.

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Des étudiants d’exception
Les candidats aux programmes MBA de McGill ne sont pas des étudiants ordinaires. Plus de la moitié viennent de l’extérieur du pays. Ils ont 28 ans en moyenne et cinq ans d’expérience de travail. Selon un sondage mené par le MBASA, 70% de ces étudiants considèrent payer «assez» pour leur programme nouvellement privatisé ou seraient prêts à débourser davantage. «J’aimerais bien voir la méthodologie de ce sondage, dit Martine Desjardins, de la Fédération étudiante universitaire du Québec. Ont-ils questionné tous les candidats au MBA ou seulement ceux qui avaient déjà accepté de payer les nouveaux frais?» Elle soutient que les étudiants à la MBA ne gagnent pas tous des salaires élevés et croit que certains ne sont pas en mesure de débourser de telles sommes.

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