L’électron libre

Il est parfois préférable de ne pas faire de choix. C’est celui qu’a fait Stéphane Lafleur. À défaut d’être capable de délaisser une de ses passions, il varie les rôles au gré de ses envies, passant de la réalisation à la chanson dans le temps de le dire.

L’entrevue aurait dû débuter il y a 30 minutes. Le téléphone sonne enfin. Au bout du fil, une voix masculine explique qu’entre la tuyauterie de son appartement qui vient de lâcher prise et des valises à boucler pour un voyage imminent, il n’a pas plus qu’une heure pour parler de lui. Malgré tout, le scénariste, réalisateur et musicien a accepté de faire une pause le temps d’une entrevue avec Montréal Campus.

Arrêter Stéphane Lafleur, même quelques minutes, relève de l’exploit, puisque sa créativité le porte de projet en projet. Le jeune réalisateur considère le cinéma comme son premier amour. D’abord connu grâce à la réalisation de Continental, un film sans fusil il y a trois ans, il a récidivé en 2011 avec un autre film remarqué, En terrains connus. Il n’hésite toutefois pas à sauter la clôture pour assurer le rôle de guitariste, de chanteur et de parolier au sein du groupe country folk Avec pas d’casque. «Adolescent, j’étais dans un band de garage, se souvient le chanteur. En vieillissant, j’avais un peu abandonné ça. La percée du groupe n’était pas prévue du tout.» Il précise cependant que cette erreur de parcours n’en demeure pas moins un bel accident. Depuis sa percée en 2006, le trio a produit deux albums et en a un autre, Astronomie, présentement en production. Mais les gars d’Avec pas d’casque ne sont pas pressés. «Nous avons tous une vie à l’extérieur de la musique, fait remarquer Stéphane Lafleur. Ça nous permet de pousser toujours plus loin, de ne pas nous soucier des critiques et surtout de ne pas devenir blasé.»

Si la caméra fait de l’ombre au micro, Stéphane Lafleur assure que toutes les voies sont bonnes pour faire entendre sa voix, pour faire connaître sa vision du monde. «Tu te demandes sûrement pourquoi je fais tout ça, demande l’artiste en riant. Le tout s’enchaîne. Le dénominateur commun, c’est l’action d’écrire.»

À travers ses textes, qu’ils soient portés à l’écran ou couchés sur une trame musicale, Stéphane Lafleur pose un regard sur la nature humaine et tente de la comprendre. «J’essaie de faire prendre conscience du moment présent, explique-t-il. Lorsqu’on regarde mes personnages, on se rend compte que leurs drames, et les nôtres aussi, sont toujours le centre de nos univers.» Stéphane Lafleur est à la recherche du bonheur et tente, maladroitement selon ses dires, de répondre aux grandes questions de la vie. «Les gens ont souvent l’impression que mes idées sont noires, mais la perception de ce que je fais est plus sombre que mon intention.» Ces trames narratives un peu glauques restent toujours teintées de notes absurdes qui confèrent à ses œuvres un côté humoristique bien calculé. «Quand j’écris, j’essaie de prendre la réalité et de la tordre un peu, explique-t-il, avec un rire dans la voix. L’absurde a une double fonction, il fait rire et réfléchir en même temps.»

Alors que le cinéma l’amène à explorer le côté absurde de sa personnalité, la musique lui permet pour sa part d’aller au bout de ses ambitions créatives, d’expérimenter au jour le jour, sans se soucier de contraintes monétaires ou artistiques. «Faire un film, ça prend plus de temps, plus de moyens, précise-t-il. C’est drôle à dire, mais mon imagination finit par avoir un coût. Alors que si j’écris une chanson le matin, je peux la jouer le soir.»

Flash-back
L’évolution de Stéphane Lafleur débute au cœur du Quartier Latin, à l’UQAM. Après un baccalauréat en cinéma, l’artiste se lance, sans vraiment savoir ce qu’il pourra tirer de son art. En janvier 1999, lorsqu’il quitte les bancs d’école, il joint les rangs des membres fondateurs du mouvement Kino, un groupe qui permet aux vidéastes en herbe de faire leurs premières armes dans le milieu. «Nous voulions simplement continuer à produire des films, malgré la fin de nos études, et qu’ils soient diffusés quelque part», raconte le créateur né en 1976.

Comme la relève d’aujourd’hui, Stéphane Lafleur a fait ses premières expérimentations avec Kino. De fil en aiguille, il inscrit ses œuvres à des concours, en gagne quelques-uns et décide finalement, en 2004, de s’attaquer à son premier long métrage. «Avec le temps, je me suis rendu compte que ce rythme de tournage était davantage le mien, explique-t-il. Sur un plateau de tournage, les trois premiers jours sont ceux que j’aime le moins parce que c’est le temps que ça prend à une équipe pour s’apprivoiser, pour atteindre sa vitesse de croisière.» C’est en partie cette recherche de confort qui l’a poussé à travailler avec la même équipe lors de ces deux films. «Ça nous a permis de pousser la démarche artistique plus loin.»

La critique a encensé ses deux productions, mais reste que le côté tranquille de ses films, le côté sans fusil, n’est pas accessible à tout le monde. «Il y a toujours quelqu’un qui n’aime pas ton travail, laisse-t-il tomber. Il y a tellement de choix aujourd’hui, il va toujours y avoir des gens qui vont apprécier ce que je fais, et déjà ça, ça me dit que j’ai réussi.» Mais au final, l’artiste n’accorde pas une grande importance au succès, pourvu qu’il conserve sa liberté. «Mon premier instinct n’est pas toujours le bon, mais ce qu’il y a de merveilleux dans ce que je fais, c’est que je peux proposer à peu près n’importe quoi.» Ainsi, tant que des gens accepteront de jouer son jeu, Stéphane Lafleur suivra ses propres règles.

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