La Croatie entre deux eaux

Encore fragilisée par la guerre et la corruption, la Croatie pourrait avoir trouvé sa planche de salut. L’Union Européenne souhaite l’accueillir dans ses rangs en 2013, mais les Croates sont toujours divisés lorsqu’il s’agit de l’avenir politique de leur pays.

Le 30 juin dernier, au pied de la belle Adriatique, mer limpide et turquoise, le calme règne. Sous les chutes paradisiaques de la région dalmatienne, aucun tourbillon d’émotion. Loin des vagues de protestation contre le chômage et la crise économique qui soulève l’Europe du Sud, le Conseil Européen entérine les négociations d’adhésion de la Croatie à l’Union Européenne (UE).

La Croatie, au sein de l’entité politique du Vieux Continent, pourrait bénéficier des fonds de la Banque centrale européenne pour redresser son économie – des milliards de dollars disponibles pour les membres tous les ans – et avoir un meilleur accès à un marché de 500 millions d’habitants. Sans oublier que les Croates verraient sans doute leurs dépenses publiques s’assainir, grâce à la politique anti-corruption de l’UE. Mais la Croatie, pays à la forme d’un boomerang, a lancé au loin un processus qui pourrait revenir bredouille. D’ici la signature du traité d’adhésion, en décembre 2011, le gouvernement croate devra poursuivre la restructuration économique et politique du pays afin d’assurer sa place parmi les pays développés de l’Union. Il y a un autre pas à franchir: un référendum, qui aura lieu en janvier 2012. Le pari est loin d’être gagné, puisque la question divise les Croates.

L’entrée dans une zone de libre-échange comporte son lot d’inconvénients, surtout pour un État qui a connu le régime communiste sous Tito. Ces 40 années de totalitarisme ont façonné les habitudes de vie des Croates et leur culture économique. «Le pays doit trouver ses avantages comparatifs, se concentrer sur ses ressources abondantes et augmenter son degré de spécialisation» explique le cofondateur et directeur du comité scientifique du centre de recherches du South Eastern European Development Studies (SEEDS), Thierry Warrin. La Croatie a décidé de miser sur son agriculture, dont le rendement s’améliore, et sur l’industrie du tourisme, d’où provient environ 20% de son PIB. Le spécialiste croit que c’est une bonne stratégie à long terme mais demeure perplexe pour le court et le moyen terme. «Le problème, rappelle celui qui est aussi professeur d’économie à l’École Polytechnique de Montréal, c’est que les pays avoisinants sont habitués à la concurrence internationale et représentent un poids important. C’est David contre Goliath.»

Selon lui, la Croatie a besoin de faire partie de l’UE pour se tailler une place dans le monde. «Avec un produit intérieur brut (PIB) nominal par habitant qui s’élève à 14 000 $US, la Croatie est à environ 40% du PIB par habitant des pays de l’Europe de l’Ouest. Mais la situation économique s’améliore grandement,» affirme Thierry Warrin. Depuis qu’elle a déposé sa candidature en 2003, la Croatie tente de s’adapter aux critères de l’UE pour faciliter son intégration dans cette zone de libre échange. «Elle devra renoncer à l’indépendance sur de nombreux sujets nationaux, dont la politique agricole commune et la politique étrangère».

Un couteau à double tranchant
Même si l’entrée dans l’UE représente des possibilités d’emplois, de développement économique et de nouveaux marchés, certains Croates demeurent sceptiques. Une professeure de chimie à l’Université de Zagreb, rencontrée dans un vieux train désuet qui rappelle l’époque communiste, croit que le gouvernement de son pays, présidé par Ivo Josipović, n’a pas le don des négociations. Selon la dame, qui préfère taire son nom, il est davantage en faveur de l’intégration dans l’Union que des préoccupations primaires des Croates. «On doit régler nos problèmes nous-mêmes, parce que c’est faux de croire que l’UE le fera.» Comme le taux de chômage affiche 14,4% (donnée de juin 2011), l’emploi est rare. «Les gens sont trop préoccupés par les problèmes de la vie quotidienne pour s’intéresser à la politique. Ils doivent trouver un moyen de payer les factures, c’est tout, dit-elle en soupirant. De toute façon, le temps est mauvais partout.»

La Croate se rappelle d’un passé très récent, où le gouvernement était très corrompu. D’ailleurs, l’ex-premier ministre Ivo Sanader a été conduit en prison en 2009 pour corruption et détournement de fonds publics. Depuis, Jadranka Kosor occupe ce poste et ne cesse de lutter contre la corruption, pour répondre aux critères du sommet de l’UE à Copenhague (1993) et valider les étapes importantes vers un état de droit. «Je crois que la politique anti-corruption de l’UE sera le principal bénéfice pour mon pays», admet la chimiste, en faisant allusion au fait que l’UE exige des rapports gouvernementaux détaillés chaque année.

À la lumière de l’endettement colossal des pays membres de l’UE, les Croates auraient raison de s’inquiéter. Selon le Croate d’origine, Renéo Lukić, professeur au département d’histoire de l’Université Laval et spécialiste des relations internationales, la mauvaise gestion de l’économie des pays en crise n’a aucun rapport avec l’UE, sinon avec l’euro. «Si on cherche à éviter la dette excessive et qu’on respecte les budgets, alors je n’y vois aucun problème. Mais si on se met à dépenser, on s’aligne pour une crise de la dette publique», lance-t-il, convaincu. Il ajoute qu’il fait confiance à l’actuel président, accablé d’une dette brute de 55 milliards d’euros (en pourcentage du PIB). En 2010, la Croatie se situe très près de la dette publique moyenne des pays de l’Union. Même si elle n’est pas aussi riche, elle continuera de travailler très fort pour concurrencer ne serait-ce que la Slovénie, leur voisin membre de l’UE depuis 2003 et pays de l’ex-Yougoslavie.
L’avenir de la Croatie demeure en suspens, mais Thierry Warrin voit du changement. «C’est l’aboutissement des politiques économiques de ces deux dernières décennies depuis son indépendance en 1991, et c’est le sentiment de tourner la page et de découvrir de nouvelles libertés.»

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