Personne n’est coupable

Au royaume de l’impunité, les politiciens sont rois.

Et les recteurs d’universités itou.

Qu’ils aient commis des malversations, reçu des pots-de-vin, gaspillé des fonds publics ou fait preuve de favoritisme, ces hommes ne peuvent, à l’instar du citoyen lambda, être mis derrière les barreaux. Dans notre société, le plus grand opprobre que peut subir un homme public consiste à voir sa réputation être ternie et son poste lui être retiré. Des accusations criminelles? Elles relèvent du conte de fées.

Pourquoi? Pour mille raisons : manque de preuves, loi du silence, influence occulte, lois déficientes, etc. Certes, la règle de droit demeure incontestable: on ne peut condamner quelqu’un pour des ouï-dire. Mais la question qui se pose est la suivante : pourquoi nos corps policiers ne trouvent-ils jamais de preuves ou de témoins décisifs permettant d’accuser un élu? On peut supposer que la peur règne lorsque pouvoir et argent se joignent.

Quand un scandale éclate, la population s’insurge, les dirigeants crient aux mensonges. Le temps de quelques jours, les médias participent à la vindicte populaire. Au final, le navire continue son périple sur les mers remplies de remous de la politique. Seuls quelques matelots et un lieutenant ont été lancés aux requins pour contenter le peuple. Un procès en bonne et due forme. Que nenni! Qu’on pense aux scandales qui ont frappé le pays dans son histoire récente : Mulroney et l’Airbus, les commandites, les compteurs d’eau, la construction, Ressources humaines Canada, etc. Est-ce qu’un seul élu a été accusé criminellement dans ses dossiers? Pas un seul. Des milliards en fonds publics disparus ou mal utilisés sans qu’il n’y ait eu de coupables politiques. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

Sachant cela, impossible d’être surpris que l’ancien recteur de l’UQAM Roch Denis n’ait fait l’objet d’aucune poursuite criminelle – ni même civil! – pour sa responsabilité dans le fiasco immobilier de l’Université du peuple. Rappelons que l’ancien dirigeant de l’UQAM et deux de ses bras droits : Mauro Malservisi, ex-vice-recteur responsable des affaires financières et Nicolas Buono, directeur des investissements, ont fait l’objet d’une enquête de la Sûreté du Québec pendant plus de deux ans. Après des mois de réflexion, le Directeur des poursuites criminelles a conclu cet été qu’il y avait absence de preuve d’acte criminel dans la gestion financière des projets du Complexe des sciences de l’UQAM et de l’Îlot Voyageur.
Évidemment, si aucune preuve ne permettait de mettre en marche l’appareil juridique, il est totalement justifié qu’il n’y ait pas eu de poursuite au criminel. Sauf qu’à la vue des conséquences désastreuses qu’ont eues les dérives immobilières sur l’UQAM et l’État, il y a matière à se demander où se situe la frontière entre l’incompétence et la criminalité.

L’UQAM a d’ailleurs perdu l’occasion de faire valoir ses droits en justice civile, puisque le délai de prescription de trois ans est maintenant périmé. A-t-on craint qu’un procès ne mette dans l’embarras l’ensemble de l’administration?

Rappelons que le Vérificateur général Renaud Lachance a sévèrement blâmé le trio uqamien dans son rapport de juin 2008, les accusant pendant des dizaines de pages d’avoir extrêmement mal géré les projets immobiliers, de ne pas avoir assumé leurs responsabilités, de ne pas avoir été transparents envers le CA et le ministère de l’Éducation et finalement, de ne pas s’être préoccupés des conséquences des projets sur la santé financière de l’UQAM.

Et au final, qui a dû renflouer les coffres d’une université qui frôlait la banqueroute? Ce ne sont ni Roch Denis ni Mauro Malservisi et ni Nicolas Buono – qui ont d’ailleurs empoché une prime de plus de 150 000 $ en quittant leurs fonctions – ce sont les contribuables québécois. Et 380 M$, ça fait beaucoup d’argent!

***

C’est avec un mélange de peine et de nostalgie que je signe aujourd’hui ma dernière chronique dans les pages du Montréal Campus. Je quitte en effet mes fonctions de rédacteur chef à l’issue de cette parution, après presque deux ans à m’investir corps et âme dans ce fabuleux journal. De jeune stagiaire inexpérimenté, à chef de pupitre zélé, jusqu’au poste ultime de rédacteur en chef, j’ai la conviction d’avoir grandi autant en tant qu’homme qu’en tant que journaliste au sein de cette grande école.

Je tire toutefois ma révérence avec confiance puisque je sais que le flambeau sera repris par d’autres jeunes journalistes passionnés. Cela fait d’ailleurs 30 ans que les différentes équipes du Montréal Campus se transmettent cette flamme, sans jamais qu’elle ne faiblisse. Longue vie au Montréal Campus!

Louis-Samuel Perron
Rédacteur en chef

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