Politiques contre politique

Considérée comme la plus politisé des universités, l’UQAM est, ironiquement, la seule à Montréal à interdire les groupes politiques étudiants en son sein. Mais une coalition entre des partis de tous horizons est bien déterminée à contester cette situation et ce, jusque devant les tribunaux s’il le faut.
 
Illustration: Florence Tison
Mercredi, 16 mars au soir, dans le pavillon Hubert-Aquin, un petit groupe d’étudiants vient de fonder le groupe Québec solidaire-UQAM (QS-UQAM). «Nous sommes ici en vertu de l’article 1 de la politique 34 de l’UQAM, mais nous avons affiché sans autorisation et nous occupons la salle illégalement», déclare Renaud Gignac, étudiant en économie et membre fondateur. L’Université du peuple est l’unique campus universitaire montréalais à interdire la présence des partis politiques en ses murs. Mais les militants entendent ébranler les colonnes du temple uqamien en réclamant une modification des règles d’agrément, quitte à brandir la Charte des droits et libertés en Cour.
 
«L’université a été pensée comme un endroit ouvert vers le savoir, la critique et la pensée, interpelle Amir Khadir, co-chef du parti Québec solidaire (QS). Ils sont très légitimes dans leur démarche, parce qu’ils représentent des étudiants, mais aussi parce que l’université a été construite pour être un lieu totalement libre.»
 
La politique 34 du Service à la vie étudiante (SVE), qui régit l’agrément des groupes étudiants, est simple: les groupes affiliés à un parti politique sont proscrits de l’enceinte uqamienne. Le groupe QS-UQAM n’est donc pas reconnu par l’Université pour l’instant. Une demande formelle de révision de la politique sera déposée auprès du SVE. Un comité paritaire entre représentants étudiants et institutionnels devra ensuite statuer sur la question. «En 1997, quand la politique a été instaurée, c’était pour éviter une trop grande sollicitation des partis, des ordres professionnels ou des commerces auprès des étudiants, explique Manon Vaillancourt, directrice du SVE. Et à chaque révision de cette politique, ces exceptions ont été maintenues. Pour le Comité de la vie étudiante, la politique ne fait pas partie de la vie étudiante, c’est tout.» 
 
En cas de refus, QS-UQAM est prêt à défendre sa position devant la justice.  Ce dernier recours, jugé extrême par les militants, s’annonce toutefois semé d’embûches. «La reconnaissance, ils ne l’auront jamais, martèle George Lebel, professeur de droit à l’UQAM. Cela coûterait trop cher pour les étudiants, et l’ensemble des politiques du SVE a été rédigé de manière à ce que les groupes ne soient pas viables sans soutien de l’Université.»
 
Mais rien ne peut décourager les partisans. «Nous voulons créer une coalition avec les étudiants péquistes, adéquistes et libéraux pour remettre l’UQAM dans la vie démocratique», soutient Guy François, étudiant en sciences politiques, lui aussi membre fondateur de QS-UQAM. Le Comité national des jeunes du Parti québécois songe également à remettre en cause l’interdiction des partis politiques sur le campus de l’UQAM, mais aussi dans les cégeps. «Il faut arrêter ce cynisme qui dit que c’est de la faute des jeunes s’ils ne s’intéressent pas à la politique. Nous vivons une période de désabusement, où le taux de participation des jeunes diminue aux élections, déplore Christine Normandin, présidente du Comité national des jeunes péquistes. Les comités partisans sont de beaux canaux de diffusion pour la politique, il faut les utiliser.» 
 
Pour Justin Trudeau, député fédéral du Parti libéral du Canada, la levée de l’interdiction à l’UQAM serait positive pour tout le monde, même s’il est bien conscient que la majorité des uqamiens tendent plus à gauche que les libéraux. Celui qui brigue actuellement un nouveau mandat comprend toutefois les motifs de l’interdiction. «Il y a un désir de neutralité et peut-être craignent-ils des dérapages. Mais ils doivent savoir que les jeunes du campus veulent s’aligner politiquement.»
 
Seule l’Association facultaire étudiante en sciences humaines s’est pour l’instant exprimée à ce sujet et exclut de soutenir une modification de la politique 34. Xavier Dandavino, coordinateur aux affaires externes, juge que les groupes agréés affiliés à un parti politique n’ont pas leur place à l’UQAM, par souci d’indépendance de l’institution. Mais QS-UQAM fait parler de lui sur les autres campus. «On a entendu parler de la démarche de QS-UQAM. Nous sommes prêts à donner tout le soutien nécessaire à leurs revendications», indique Matthew Dubé, co-président du club NDP of McGill, reconnu par son Université
L’herbe est plus verte ailleurs
Dans les autres universités, les groupes partisans sont monnaie courante. Les cinq grands autres campus québécois abritent au moins vingt-quatre regroupements politiques étudiants représentant neuf formations (voir Les partis politiques su les campus). Peu avant le déclenchement des élections fédérales, deux groupes se sont ajoutés récemment à cette longue liste: le Parti vert à l’Université Concordia et le Nouveau parti démocratique (NPD) à l’Université de Sherbrooke.
 
Toutes les universités dispensent des locaux à leurs groupes étudiants. Presque toutes offrent aussi des ordinateurs et des hébergements de sites Web. Ils ont également le droit d’utiliser le nom de leur université pour s’identifier. À l’Université Concordia, à l’Université McGill et à l’Université Laval, ces regroupements politiques ont même accès à des subventions et à des bourses. L’Université Concordia offre par exemple un budget annuel de fonctionnement de 250 $ pour les «clubs» néo-démocrates et conservateurs et 500 $ pour les libéraux.
 
Si la politique 34 venait à changer à l’UQAM, les regroupements politiques en son sein auraient droit à des subventions beaucoup plus importantes, comme tous les groupes agréés. En plus de disposer d’un local, d’une ligne téléphonique et d’une autorisation d’afficher sur le campus, les groupes ont droit à une subvention de fonctionnement de 1 700 $ par an. Ils peuvent demander 2 000 $ et 3 500 $ supplémentaires pour l’organisation d’activités et d’évènements.
 
Un argument de poids pourrait faire pencher la balance du côté des revendications de QS-UQAM. Selon Simon-Pierre Savard-Tremblay, président du forum jeunesse du Bloc québécois, les partis politiques auraient déjà le droit de franchir les portes de l’Université du peuple. En effet, l’article 81 de la Loi électorale du Canada stipule qu’il est interdit au responsable de tout lieu éducatif «d’empêcher le candidat ou son représentant de faire campagne dans cette partie des lieux, pendant les heures où elle est ainsi ouverte au public. Ainsi, la politique 34 doit être revue, pour qu’on puisse s’afficher publiquement», conclut le militant bloquiste.
 

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