Dans les années 1990, le marché québécois de la fourrure, taxé de cruauté par les défenseurs des droits des animaux, vivait une lente agonie. L’industrie reprend aujourd’hui du poil de la bête grâce aux étiquettes écologiques et à un nouveau marché: la Chine.
Rues Saint-Alexandre, Mayor, Bleury et Sainte-Catherine : quadrilatère communément surnommé le Quartier de la fourrure. Malgré la hausse des loyers du centre-ville de Montréal, quelques irréductibles artisans gardent pignon sur rue et perpétuent les techniques ancestrales de leurs prédécesseurs. Et à la vue des conjonctures actuelles, ces maîtres fourreurs ont de quoi se réjouir.
L’an dernier, les trappeurs canadiens ont vendu 3 772 peaux de plus qu’en 2009, selon les données du ministère des Ressources naturelles et de la Faune. Castor, coyote, loutre, ours blanc et vison: les prix moyens des fourrures vendues aux enchères en Amérique du Nord sont en hausse. «Un nouveau record pour le prix du vison vient d’être atteint au cours des dernières semaines lors des ventes aux enchères de Copenhague et de Toronto, le prix était alors de 65 $ US la peau, précise le vice-président du Conseil canadien de la fourrure (CCF), Alan Herscovici.» Les ventes de vison au Canada ont atteint une valeur totale de 78 000 $ l’année dernière, une hausse de 13 000 $ par rapport à l’année précédente.
Compétition sauvage
Dans les années 1970 et 19880, la fourrure était une matière particulièrement prisée. Synonyme de richesse et de glamour, les peaux se vendaient facilement à 50 $ la pièce. C’est au début des années 1990 que l’industrie subit les contre-coups de la crise économique et se bat pour conserver ses boutiques au centre-ville de Montréal. À ce moment-là, le prix du vison avait chuté à 20 $. Confectionnés à la main par des travailleurs bon marché, les produits de la fourrure chinois raflaient alors de larges parts du marché mondial. «L’émergence de la Chine a clairement nui aux artisans d’ici et il a été difficile pour les producteurs montréalais de rivaliser», spécifie Alan Herscovici.
Aujourd’hui, le pays de Mao est devenu plus qu’un simple concurrent. «La Chine demeure un adversaire féroce, mais devient de plus en plus un marché, indique le vice-président du CCF. L’émergence de sa classe moyenne fait en sorte qu’elle augmente le niveau de ses importations de produits transformés.» Il rappelle d’ailleurs qu’il fait froid au nord de la Chine. «Trop de gens l’oublient, mais le climat y est comme le nôtre.»
Sauvez un arbre, portez un castor!
Les dernières tendances de la mode ont aussi tiré les fourreurs de leur léthargie. Les nouveaux créateurs semblent affectionner le poil. En 2010, la fourrure est sportive, légère et peut se porter peu importe l’occasion, selon Alan Herscovici. Les populaires manteaux Canada Goose, au célèbre capuchon poilu, témoignent de cet engouement.
L’industrie de la fourrure se découvre aussi une nouvelle vocation: la mode écolo. En réponse aux plaintes des divers groupes de défense, notamment le People for the Ethical Treatment of Animals (PETA), le Conseil canadien de la fourrure s’est doté de solides arguments, comme le souligne sa devise: «Save a tree. Wear a beaver.». Pour eux, la fourrure est en voie de devenir le vêtement écologique par excellence. «La fourrure est une ressource naturelle, renouvelable et durable, affirme Alain Herscovici. Encadrées, des pratiques responsables de trappe favorisent la préservation des écosystèmes.» L’établissement soutient également que les matières synthétiques, proposées comme une meilleure alternative par PETA, ne sont pas une bonne solution. Produites à base de pétrole, elles resteraient nuisibles pour l’environnement, selon le site Internet ecofourrure.com. «Quitte à porter de la fourrure, autant en porter de la vraie qui peut durer plus de 40 ans, contrairement à ces matières artificielles», ajoute le vice-président du CCF.
Actrice québécoise – notamment connue pour son rôle dans le film J’ai tué ma mère – et fervente militante pour les droits des animaux, Patricia Tulasne accueille ces propos d’un air dubitatif. Selon elle, ils ne servent qu’à déculpabiliser le consommateur. «Les conditions d’abattage des renards et des coyotes, entre autres, sont inhumaines: ils sont constamment dans des cages et ils meurent par électrocution ou étranglement, exprime l’activiste qui est membre de la Société québécoise pour la défense des animaux. Au lieu de redéfinir le statut de l’industrie, il faudrait redéfinir celui de l’animal.» Elle rappelle aussi l’inefficacité des gouvernements provincial et fédéral pour imposer des normes de trappes. «Les gouvernements stipulent que des mesures spéciales existent pour tuer les animaux, mais ce ne sont que de purs mensonges. Rien n’existe en matière de protection animale, fustige Patricia Tulasne. Les animaux sont piégés dans de grosses mâchoires de fer et meurent dans des conditions abominables.» Un avis qui n’est pas partagé par le coordinateur des activités de piégeage au ministère des Ressources naturelles et de la Faune, Pierre Canac-Marquis. Selon lui, au Québec, 98% des pièges sont de types mortels, c’est-à-dire qu’une fois piégé, l’animal meurt dans la seconde qui suit. «Tous les pièges sont certifiés, testés et conformes aux Normes de piégeage sans cruauté», ajoute-t-il.
Il spécifie aussi qu’il y a deux types de fourrure: celle d’élevage, qui constitue 90% du marché actuel (voir encadré), et celle dite sauvage, qui complète les 10% du commerce. Son département ne gère que la fourrure sauvage, qui englobe 21 espèces d’animaux piégés. «Il s’agit d’espèces animales dont la population est abondante et, même si la demande triplait, leur race ne serait en aucun danger de disparition», ajoute Pierre Canac-Marquis. Selon le biologiste, la chasse et la trappe sont nécessaires pour préserver l’équilibre écologique. Par exemple, si la capture annuelle de castor n’atteignait pas au minimum 60 000 spécimens, de sérieux problèmes d’inondation de routes et de lacs surviendraient.
La chasse aux animaux à fourrure est une tradition ancestrale particulièrement ancrée dans la culture canadienne. «Il faut comprendre qu’au Québec, plus de 9 500 trappeurs, dont 1 500 autochtones, vivent de cette industrie, rappelle le coordinateur des activités de piégeage, Pierre Canac-Marquis. C’est un marché qui ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Son regain actuel et le nombre de trappeurs constants chaque année sont là pour nous le rappeler.»
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La fourrure d’élevage
La fourrure d’élevage constitue 90% du marché. Les principaux élevages sont ceux des renards, visons, putois, ratons laveurs, mouffettes, rats musqués et même le lapin.
L’élevage des animaux à fourrure a débuté à l’Île-du-Prince-Édouard en 1887. Au Québec, les premiers renards sont élevés dès 1898. En 1995, on ne comptait plus que 67 fermes d’élevages d’animaux à fourrure, dont 52 s’occupaient des renards et les autres, du vison.
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