Nous sommes une génération sacrifiée. Le vernis noir des souliers neufs du ministre des Finances était un signe: les prochaines années seront sombres pour les étudiants. À partir de 2012, nous paierons 325 $ de plus par année, pendant cinq ans. Une hausse de 75%. C’est à nous d’être saignés pour les études bon marché de ceux avant nous. On nous impose un don de soi. Et les mots bien séants de «responsabilisation des étudiants» jaillissent des communiqués des politiciens comme de la bouche d’un grand-père sage et bienveillant. Mais dans les faits, nous faisons les frais de 20 années de leaders politiques pusillanimes en matière d’éducation.
Sur l’autel sacrificiel, Jean Charest, Raymond Bachand et Line Beauchamp ne sont pas seuls à tenir la hache du bourreau. Il faut remonter, au minimum, jusqu’en 1989 pour comprendre le gâchis d’aujourd’hui. Car il semblerait que ni eux ni nous n’ayons appris des erreurs du passé.
La première augmentation des frais de scolarité universitaires a lieu en 1989. Le gouvernement libéral de Robert Bourassa les hausse alors de 200% en quatre ans. L’étudiant qui prévoyait payer son baccalauréat 1500 $ en déboursera finalement plus de 4 500 $ en 1993.
La mesure, aussi radicale soit-elle, ne résout que partiellement le problème. Les frais de scolarité n’ont pas augmenté depuis 1968 alors que le coût de la vie, lui, n’a cessé de grimper. Le décalage crée une pression de plus en plus grande sur les finances du gouvernement, d’autant plus que le nombre d’universitaires croît d’année en année. Même en triplant les frais, Bourassa ne réussit pas à rattraper l’inflation accumulée. Pour atteindre cet objectif, il lui aurait fallu les augmenter de 1 000 $ supplémentaires…
Inévitablement, la grogne de la population trouve un écho chez l’opposition. Le Parti québécois ouvre ses voiles au vent de contestation qui balaie la province. La hausse était prévue jusqu’en 1993 ; un an plus tard, Jacques Parizeau devient premier ministre et change radicalement de cap. Le gel reprend au nom de l’accessibilité aux études. Après une première génération sacrifiée en 1989, retour à la case départ. Aucune solution à long terme n’est prise. L’écart entre le coût de la vie et les frais de scolarité se creuse à nouveau, petit à petit. Le système n’a pas changé. Un sparadrap est posé pour soigner une hémorragie.
Au tour de Lucien Bouchard d’arriver en 1996. À ses yeux, la situation n’est pas viable. Tôt ou tard, les budgets du gouvernement et des universités ne pourront plus supporter un tel statu quo et les déficits se creuseront. Le nouveau capitaine tente de faire fondre le gel de son prédécesseur. Mais le navire prend feu. Une mutinerie étudiante a lieu dans le milieu universitaire. Bouchard se ravisera pour éviter d’être jeté aux requins. Il laisse une bombe à retardement dans les oubliettes du ministère de l’Éducation, et personne n’ose la désamorcer.
Le jeu de chaises musicales se poursuit. Le Salon bleu prend des teintes rouges en 2003. Jean Charest, nouveau premier ministre, promet d’arrêter le gel. En 2007, un premier geste concret va en ce sens. Pendant cinq ans, les étudiants paieront 100 $ de plus par année. La contestation s’élève, mais rien pour faire reculer le gouvernement. Après plusieurs scandales, dont celui du fiasco immobilier de l’îlot Voyageur de l’UQAM, les déficits tant redoutés explosent au grand jour: la très grande majorité des universités du Québec cumulent des déficits de dizaines à plusieurs centaines de millions de dollars. Les fantômes de 1989 reviennent alors hanter les couloirs du ministère de l’Éducation.
Et nous voici à aujourd’hui: une hausse brusque à partir de 2012.
Je prends les paris. Aux prochaines élections, les partis d’opposition courtiseront la deuxième génération universitaire sacrifiée du Québec. Ils promettront un gel des frais de scolarité. Et ce sera un énième retour à la case départ.
Mais j’espère me tromper. Un politicien, quelque part, aura sans doute le courage et l’intelligence de sortir de ce jeu politique idiot, où un camp appuie sur l’accélérateur quand l’autre utilise le frein à main.
Quelle est la vision à long terme du Québec en matière d’éducation? Aucune. Si les Québécois veulent conserver les frais de scolarité les plus bas au pays, que les politiciens déterminent aujourd’hui la contribution de l’État pour garder cet avantage unique pour les 10 ou 20 ans à venir, avec un seuil maximum précis sous la moyenne nationale. Mais si nous fermons encore fois les yeux sur l’indexation à l’inflation, alors le Québec enfantera à nouveau d’une génération sacrifiée, inévitablement.
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