L’Engagement

Ils sont partout, ces artistes engagés. Engagés. De cet engagement qui n’engage rien ni à rien, de cet engagement qui dégage. La conscience, surtout. Tout le contraire du «mettre en gage» étymologique, cette liaison à une promesse. Celle de Michel de Montaigne, de Victor Hugo, de Gérald Godin. Pas le tenir, seulement s’y lier. Avec urgence et émotion, ceux dont je vous parle déposent leurs discours doucereux, servent le boniment aux benêts, racontent une anecdote d’enfance pour émouvoir le sceptique.

 

  

La même valeur philanthropique que McDonald’s et son manoir, que Tim Hortons et son camp, que cet 1% de profits fièrement versé à une cause consensuelle. Pour ces entreprises, le geste est étudié, vise à vendre plus de Big Mac ou de Timatin aux bonnes gens sensibles. Pour ceux dont je vous parle, la photo à la une d’un magazine communautaire, le seau tendu fébrilement à la veille de Noël ou la voix prêtée à un événement sporadique ne visent pas à vendre, mais plutôt à acheter – temporairement – paix et sympathie. «Y’est bon, pi y’est donc fin.» Oui, puisque leur engagement, ce n’est pas l’action, ni même le discours, c’est la gentillesse. Gentil avec les pauvres, gentil avec les malades, gentil avec les alcoolos, les mères monoparentales. La gentillesse ou la méchanceté. Méchant avec les gaz de schiste, méchant avec Quebecor, méchant avec les méchants. «Grrr, grrr, brrr.»

 

Un militantisme noble et justifié, mais qui perd de son affront lorsqu’il est chorégraphié, se couche sur une musique pathétique plutôt qu’un argumentaire étayé. Qu’il joue sur la corde de la sensibilité plutôt que sur celle de la raison. Leur engagement se décline en petits gestes mièvres. Tous prêts à coller les pansements et à reconstruire, mais combien à parler de la blessure et du séisme. Combien à proposer une solution dans la durée, que Gérald Godin appelait, que Gaston Miron appelait, que Hubert Aquin appelait, que Claude Gauvreau appelait… projet collectif. Dès que la politique pointe, ceux dont je vous parle se dispersent. Se drapent sous leur fonction première: chanter, divertir, émouvoir. Les mêmes qui, sur toutes les tribunes, s’expriment sur les aléas de leurs vies conjugale, familiale, voire personnelle. Mais parler du Tout? Silence. Se compromettre, c’est risquer de fractionner son public. Pour gagner quoi? Rien. Pire, pour voir chuter ses ventes. Ce Tout, ce projet collectif qui rendrait le magazine communautaire désuet, le seau futile et l’évènement sporadique insignifiant. Cet Engagement qui pourrait sonner le glas de tous ces petits engagements, cette utopie productive, celle-là les effraie. Ceux dont je vous parle nourrissent la bête. Ils sont partout. Ils meublent les talk shows, chantent au téléthon et parfois, signent des chroniques d’opinion. 

 

Charles-Éric Blais-Poulin

culture.campus@uqam.ca

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