Les sauveurs de l’humanité

Vous possédez un QI de plus de 130? Joignez alors les rangs de Mensa, un club social où vous pourrez jouer à Trivial Poursuit entre grosses têtes.

Illustration: Dominique Morin

 

Un mercredi par mois, la table du fond du restaurant Reuben’s à Montréal est réservée aux membres de Mensa. Au milieu de la cohue, six hommes en costumes cravates – et au quotient intellectuel (QI) au-dessus de la moyenne – s’apprêtent à commander.  «Je prendrais aussi une tarte au sucre en dessert, indique à la serveuse Alain Bourgault, le responsable des activités. Ça stimule les neurones.» La réunion mensuelle peut alors commencer. Aujourd’hui, les compères comptables, avocats et banquiers usent leur matière grise sur l’existence d’un treizième signe du zodiaque, devant leurs assiettes encore fumantes de smoked meat.

«En latin, Mensa a trois significations: esprit, table et mois», indique Bob Yewchuk, le directeur de l’information de Mensa Canada. C’est le nom choisi en 1946 par Roland Berril et Lancelot Ware, deux avocats et scientifiques, après une rencontre dans un train. Les deux hommes, reconnaissant sur-le-champ leur supériorité intellectuelle, décident de mettre en commun leur intelligence afin de favoriser la recherche sur la nature et la science, et d’en faire don au reste de l’humanité. Aujourd’hui, Mensa compte 140 membres à Montréal et plus de 100 000 dans près de 100 pays.

Pour faire partie de l’équipe Mensa, un seul et unique critère: avoir un QI suffisamment élevé pour se classer dans les deux premiers centiles de la population. Pour la somme de 90 $, le candidat, âgé de 14 ans minimum, doit passer un test de QI et prouver sa supériorité. Un tarif familial existe pour les maisonnées au QI moyen supérieur à 130. «C’est un processus aucunement discriminatoire, explique le président sortant de Mensa Montréal et superviseur lors des tests, Fernand Vallée. Pour étudier à l’UQAM, par exemple, vous devez remplir certaines conditions, car l’Université veut les meilleures personnes pour la représenter. Nous, c’est la même chose.» La majorité des membres de Mensa Montréal se compose d’avocats, de comptables ou de banquiers, mais comme le précise le directeur de l’information de Mensa Canada, d’autres professions réussissent à faire contraste au cliché. «Nous ne sommes pas tous des hommes d’affaires, mentionne Bob Yewchuk. Nous avons aussi un policier parmi nos membres!»

Serge Larivée, professeur à l’école de psychoéducation de l’Université de Montréal et docteur en psychologie, juge le processus de sélection de Mensa tout à fait acceptable. Selon l’auteur de Le Quotient intellectuel, ses déterminants et son avenir, les tests QI demeurent à ce jour les meilleurs outils pour jauger l’intelligence. «Il y a toujours quelques probabilités d’erreurs, mais ils proposent en général un résultat très proche de la réalité.»

Grosses têtes?
La rencontre de Roland Berril et Lancelot Ware dans un train remonte à belle lurette, en 1946. Plutôt que de changer le monde comme le souhaitaient les fondateurs, les adhérents de Mensa Montréal préfèrent aujourd’hui les soirées  de jeux de société ou les après-midi de quilles. Aussi, la métropole est la seule division à offrir des soirées Star Trek où ces esprits allumés s’amusent à visionner les épisodes originaux de la série culte. «Nous en profitons pour rire du stéréotype américain, mentionne Pascal Lauzon, avocat et membre de Mensa Montréal depuis deux ans. Ce ne sont pas des réunions de geeks où nous parlons le klingon ensemble!»

Mais en quoi de telles activités nécessitent-elles un quotient intellectuel de plus de 130? «En fait, ces doués ne font que se regarder le nombril», critique sévèrement Serge Larivée. En novembre 1992, il avait été invité par Mensa Montréal comme conférencier pour une de leurs rencontres mensuelles. «Laissez-moi vous dire que je les ai tous engueulés bien comme il faut, partage le professeur à l’école de psychoéducation de l’Université de Montréal. Ces personnes possèdent assurément des capacités remarquables, mais leur manque d’implication sociale me désole. L’existence de ce groupe ne sert à rien du tout.» Vu leurs capacités intellectuelles, il aimerait plutôt voir les 140 membres de la métropole réfléchir sur des enjeux sociaux comme le décrochage scolaire.

Un avis non partagé par Mensa Canada, qui offre plusieurs programmes de distinction et d’aide aux études, comme The Gifted Children Program et The Mensa Canada Scholarship Program. Grâce aux dons de certains membres canadiens, des bourses de 720 $ à 2000 $ – bien sûr réservées à des personnes au QI exceptionnel – sont octroyées chaque année à des étudiants universitaires canadiens.

«Nous ne sommes qu’un petit club social et non une société secrète comme les francs-maçons, plaisante Pascal Lauzon, avant de poursuivre avec une dérision bien assumée. Mais s’il n’y a toujours pas eu de Troisième Guerre mondiale, je dois avouer que c’est un peu grâce à nous.»

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