Justice thérapeutique

Depuis trois ans, la Cour municipale de Montréal est le théâtre d’une justice d’un nouveau genre. Le Programme d’accompagnement en justice-santé mentale dirige les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale vers les ressources en santé plutôt qu’entre les murs d’une cellule.

 

Jargon latin, toges noires et protocole:  les Cours de justice s’apparentent souvent à des jungles bondées et hostiles. Dans cet univers froid, un procès peut vite devenir une descente aux enfers pour les schizophrènes, bipolaires, dépressifs et paranoïaques accusés de méfaits.

«C’est stressant de faire face à la justice, de surcroît pour une personne avec un problème de santé mentale qui se met à halluciner en plein milieu de son procès», s’exclame Me Julie Provost, procureure et coordonnatrice du Programme d’accompagnement en justice-santé mentale (PAJ-SM).

Premier tribunal spécialisé en santé mentale au Québec, ce projet pilote arrive à échéance en mai, au terme de trois ans de test. Dès sa première année d’existence, le PAJ-SM a permis à 137 accusés de suivre une thérapie, avec ou sans médication, en échange d’une sentence plus clémente, voire d’un retrait des accusations. L’ambiance y est très particulière. Ici, procureurs de la couronne et avocats de la défense sont plus que de simples juristes. Me Julie Provost ne cache pas qu’elle joue dans les plates-bandes de l’avocat de la défense, et vice-versa, dans un rare esprit de collaboration. «Oui, je me préoccupe de la victime, mais 75% de mon intervention est centrée sur l’accusé.» Un juge est même déjà descendu de son banc pour réconforter le père d’un accusé et lui parler en plein procès.

Surchargé, le système de justice traditionnel n’est pas adapté pour répondre aux besoins de ces personnes, selon la procureure Provost. «On va traiter leur dossier comme n’importe lequel. On punit leur crime, mais au bout du compte leur problème n’est pas résolu», tranche-t-elle. Intégré à la Cour municipale de Montréal, le PAJ-SM s’adresse donc aux accusés de délits mineurs, tels des voies de faits, vols ou menaces, et qui présentent les symptômes d’un problème de santé mentale.

À bras ouverts
En octobre 2010, Denis Gratton est arrêté et accusé de violence conjugale. Après avoir été sommairement évalué par un médecin, le procureur de la Couronne lui propose de prendre la route du PAJ-SM. Il suit présentement une thérapie de 14 rendez-vous, dont trois se font avec un psychologue et 11 avec un groupe. «Au début, j’y allais à reculons, mais maintenant je suis content d’y aller et je compte même poursuivre après mes rencontres.» La conjointe de Denis Gratton, Gisèle Gilbert, abonde dans le même sens. «Ça nous donne des outils. Denis est plus calme et il commence à cheminer vers la bonne voie.»

C’est la présence de symptômes d’un problème de santé mentale qui mène les accusés vers le PAJ-SM. Ces derniers peuvent y être référés à n’importe quelle étape de leur parcours au sein de l’appareil judiciaire. Comportements et propos relevés par les policiers ou remarques de l’avocat peuvent faire en sorte qu’un dossier aboutisse sur le bureau du procureur. Celui-ci analysera la preuve, puis l’accusé sera évalué par un omnipraticien et par l’équipe Urgence psychosociale-justice, une escouade multidisciplinaire spécialisée en santé mentale (voir encadré L’Urgence psychosociale-justice). Après l’évaluation, l’équipe du PAJ-SM propose au contrevenant d’intégrer le programme. Les participants sont libres d’accepter, de refuser et de se retirer quand ils veulent.

«La plupart des contrevenants sont clairement malades, mais ils n’ont pas encore été diagnostiqués», expose la procureure Provost. À ses yeux, le crime commis est souvent le symptôme d’un mal qui existait bien avant, mais qui n’avait jamais été détecté par les ressources en santé. Selon le plus récent rapport annuel de l’Enquêteur correctionnel du Canada, au moins un délinquant sur quatre nouvellement admis dans les prisons fédérales présente une forme de trouble mental.

Toutefois, tous sont égaux devant la loi et le PAJ-SM n’est pas un passe-droit soutient Me Jocelyn Giroux, avocat à l’aide juridique de Montréal et dévoué exclusivement au programme. «On ne traite pas ces citoyens comme étant totalement responsables, explique-t-il, mais plutôt comme des personnes qui sont passées par un mauvais moment en raison de leur problème de santé mentale.» Le PAJ-SM veut éviter leur incarcération, car la prison n’empêcherait pas la récidive. «C’est beaucoup plus efficace de réinsérer l’accusé dans son milieu médical, communautaire, social et d’assurer son suivi, plutôt que de l’envoyer en prison», résume Me Provost.

Me Julie Provost soutient néanmoins que les conditions auxquelles ils doivent se soumettre sont évaluées selon leurs besoins et leur volonté. «Si la personne dit qu’elle est prête à aller voir son médecin de famille, mais pas son psychiatre, ou encore qu’elle ne veut pas arrêter sa consommation de drogue, on va respecter ça. On prend vraiment les gens là où ils sont rendus dans leur cheminement.»

Désengorger la justice
La chercheuse au Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal (UdeM), Céline Bellot, pense pour sa part que le PAJ-SM est la démonstration du manque de flexibilité de notre système de justice. «Devrions-nous avoir des tribunaux spécialisés pour chaque clientèle vulnérable? Le Tribunal de santé mentale ne vise pas à défendre les droits des personnes avec un problème de santé mentale, mais plutôt à répondre à un achalandage du système». Selon elle, les tribunaux seraient débordés par le manque de sensibilisation et de ressources à la base (voir autre texte: 9-1-1 à la rescousse).
«Plus les personnes ont des problèmes de revenus ou de logement, en plus de problèmes de santé mentale, moins le système de santé est efficace envers elles. Et, au final, c’est le système de justice qui les prend en charge», explique Mme Bellot, aussi professeure de criminologie à l’École de travail social de l’UdeM. Selon Daniel Latulippe, directeur du Réseau alternatif et communautaire des organismes en santé mentale et membre du Comité d’évaluation et de suivi du PAJ-SM, le système de santé manque de ressources. Une de ses craintes est que le tribunal spécialisé en santé mentale devienne une façon plus rapide d’accéder à des soins. «Sommes-nous dans une société où il va falloir dénoncer ses proches aux prises avec des problèmes de santé mentale et les faire arrêter pour qu’ils aient accès à un psychiatre?»

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La petite histoire des tribunaux de santé mentale
Le premier Tribunal de santé mentale (TSM) a vu le jour en 1997 en Floride, aux États-Unis. Il est né des suites d’une série d’incidents, notamment des suicides en milieu carcéral, survenus en 1994 et impliquant des personnes avec des problèmes de santé mentale. Le premier TSM visait à prévenir les récidives, éviter l’emprisonnement et assurer la sécurité de la population. Dès sa première année de fonctionnement, le tribunal a accueilli 413 cas. En 2000, le président américain Bill Clinton a autorisé le développement de 100 TSM supplémentaires, grâce à une enveloppe annuelle de 10 millions de dollars pendant quatre ans. En 2007, on comptait 150 TSM aux États-Unis et une quinzaine au Canada. À Montréal, Me Julie Provost et son équipe se sont beaucoup inspirés du modèle torontois, le premier TSM canadien à naître en 1998. Selon la procureure, d’autres villes de la province étudient la possibilité d’implanter un tel système, notamment la Ville de Québec.

 

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L’Urgence psychosociale-justice
L’équipe d’Urgence Psychosociale-Justice (UPS-J) intervient auprès d’adultes ayant un problème de santé mentale qui ont commis un délit ou qui sont sur le point d’en commettre un. Elle a pour objectif d’éviter la judiciarisation et l’incarcération préventive des personnes souffrant d’un problème de santé mentale, tout en les dirigeant vers les ressources appropriées. Toute personne en contact avec une personne nécessitant l’intervention de l’UPS-J peut faire appel à ses services. Le programme a été mis sur pied en 1996 par le CLSC des Faubourgs, à la suite d’une recherche réalisée par le Groupe de recherche et d’analyse sur les pratiques pénales du Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal.

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