Les lois du silence

Pas de visages blancs et de gilets rayés à l’École de mime de Montréal. Bastion de l’art corporel, l’établissement à la renommée internationale défait les stéréotypes et offre une formation de calibre professionnel à des artistes d’ici et d’ailleurs.
 
Courtoisie: Omnibus 
 
 
Les immenses fenêtres laissent entrer le soleil dans l’unique salle de l’École de mime de Montréal. Le décor détonne avec les murs ternes et les tableaux verts auxquels est habitué l’étudiant moyen. Ici, plutôt que cartables et stylos, ce sont les corps qui sont à l’honneur. 
 
Bon an mal an, une centaine d’élèves passent la porte de l’École pour y apprendre les secrets de l’extension corporelle et des différents styles de marche. Certains étudient la danse ou le théâtre dans d’autres établissements et viennent suivre des cours qui leur sont crédités. La plupart sont des artistes pour qui l’éloquence du message dépend avant tout de la grâce du corps qui le transmet. À travers les exercices d’improvisation et la répétition de figures telles que le pas de Caravaille (marcher à grandes foulées, le corps très près du sol), les étudiants apprennent à véhiculer leurs émotions en utilisant uniquement le mouvement.
 
«L’acteur avant le texte.» Il s’agit du principe de base du «mime corporel dramatique». Cette méthode a été mise au point par Étienne Decroux, défunt acteur français, qui fut le maître des cofondateurs de l’École. Doctrine de l’expression par le corps, elle oriente tous les enseignements dispensés par l’établissement montréalais, domicilié dans les locaux de l’Espace Libre, rue Fullum.
 
Fondée en 1977 par Jean Asselin et Denise Boulanger, l’École de mime de Montréal est l’une des plus reconnues dans le monde. Tout comme celles de Paris et de Londres, elle attire une clientèle qui provient des quatre coins de la planète. La Mexicaine Tania Hernandez, âgée de 32 ans, est l’une de ces étudiantes qui a accepté le déracinement, conquise par la réputation enviable de l’école montréalaise. En 2004, elle mettait le cap sur la ville aux cents clochers pour parfaire sa formation de mime. Six ans plus tard, toujours avide de l’enseignement de ses réputés professeurs, elle poursuit ses études à l’École de mime.

Un art fondateur
Selon Jean Asselin, fondateur et directeur artistique de l’École, le mime est un art méconnu et mésestimé, mais il est le fondement de tous les autres. «Le mime, c’est la substance du théâtre. On peut se passer de décors, de textes, mais on n’a pas encore appris à se passer du corps.» Même constat pour la danse qui, au fond, n’est qu’une sorte de mime, rappelle le volubile artiste.
 
Popularisé par Marcel Marceau dans les années 1950, l’art du corps peine à se détacher du personnage de clown triste qu’a créé le mime Français. L’imaginaire collectif est encore imprégné du silencieux Bip, pierrot attendrissant au visage peint en blanc et arborant le gilet de matelot. À preuve, le comédien Didier Lucien l’a récemment repris avec Didier Ze Mime, que l’on peut apercevoir sur les écrans du métro de Montréal. 
 
Le comédien, qui visite parfois l’École de mime, a expliqué à son fondateur qu’il y voyait une belle façon de promouvoir le mime dans la métropole. «Je l’aime bien, Didier, mais il n’a rien compris, soupire le directeur artistique de l’École. Il ne fait que nourrir les préjugés.» 
 
Sans désavouer le travail de Marcel Marceau, qu’il nomme le «poète du geste», Jean Asselin estime que son art ne doit pas se limiter à la reconstitution de situations anecdotiques. «Le mime, c’est le rythme de la vie. Tu peux et tu dois pouvoir tout mimer.» L’artiste perçoit le mime comme une mise en scène du quotidien, mais aussi de ce qu’il appelle la «rumeur interne», ce complexe amalgame des sentiments humains. 
Tribune silencieuse
En plus de l’École de mime, Jean Asselin dirige la troupe de théâtre gestuel Omnibus, aussi basée dans les locaux de l’Espace Libre. Sur les planches, le directeur artistique explore les différentes facettes de son art, le transforme en hybride qui mêle théâtre, danse et musique. «Pour jouer dans Omnibus, il faut avoir autant d’aisance avec le texte qu’avec le corps», tranche Anne Sabourin, qui participe à plusieurs productions de la troupe. Jean Asselin, féru de Descartes et de Rousseau, ne voit pas de contradiction dans le fait d’intégrer du texte à son art silencieux, tant que le corps continue de dominer. «Le mime ne se veut pas un refus du littéraire, mais une transgression du littéraire».
 
Si les productions d’Omnibus peuvent sembler hermétiques pour le public néophyte, Jean Asselin soulève que «l’art n’est pas sensé être facile». Il se plaît ainsi à développer la sensibilité des gens, à les initier à son art avec des pièces parfois humoristiques, parfois provocantes. Par exemple, le spectacle Rêves, chimères et mascarade, présenté cet automne à l’Espace Libre, se voulait le portrait d’une génération que plus rien n’impressionne. 
 
Anne Sabourin explique par ailleurs que sa préparation pour les pièces d’Omnibus est exhaustive. «Il faut avoir une grande maîtrise et une grande sensibilité par rapport à son propre corps. Il faut aussi être syntonisé sur l’imaginaire.»
 
Un état d’esprit qu’elle essaie tous les jours de transmettre à ses élèves. Et cela semble  fonctionner. «Le mime, ça ne se soigne pas, constate l’apprentie Tania Hernandez. J’ai l’intention d’en faire tout ma vie.»

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