De la chaise berçante au banc d’école

Avec leurs rides, leurs cheveux poivre et sel, et pour certains leur canne, les aînés sont de plus en plus nombreux à retourner sur les bancs d’université. Ils boivent les paroles de leurs professeurs comme on s’abreuve à la fontaine de Jouvence.
 
 
Dans une résidence pour personnes âgées de Longueuil, une trentaine de têtes grisonnantes sont réunies, non pas pour un bingo ou une séance tricot, mais pour une conférence du professeur à la retraite Jacques Boulerice. Cahier de notes et crayon à la main, ces étudiants de l’âge d’or suivent les cours de l’Université du troisième âge (UTA), un programme offert par l’Université de Sherbrooke. La retraite bien entamée, les quelque 11 000 étudiants de 50 ans et plus de l’UTA, dispersés à travers le Québec, désirent encore et toujours apprendre. Avec le vieillissement de la population (voir encadré), les cours offerts aux doyens de notre société sont de plus en plus populaires dans la Belle Province. 
 
Rose Aline Desfossés est inscrite à sa deuxième session à l’Université du troisième âge. Pour la souriante sexagénaire, cette première expérience universitaire lui rappelle sa jeunesse. «Lorsque j’étais petite, j’aimais aller à l’école, écouter et prendre des notes, se remémore-t-elle. À notre âge, on pense tout savoir, mais les cours vont chercher une profondeur insoupçonnée.» Béatrice, dont les rides témoignent aujourd’hui d’un long passé, soufflera bientôt ses 96 bougies. La sympathique petite dame aux cheveux argentés assiste aux cours et conférences de l’UTA depuis plus de trois ans. «J’ai toujours le goût d’apprendre, déclare-t-elle, pimpante et allumée, durant la pause-café. Ce que je préfère, ce sont les sujets psychologiques et philosophiques.» 
 
Avant la Révolution tranquille, des dames comme Béatrice ou Aline Desfossés n’avaient pas accès à l’école aussi facilement qu’aujourd’hui. Sous domination religieuse, l’école devient obligatoire au Québec à partir de 1943. Les femmes élevaient les enfants et les universités étaient réservées à une classe plus aisée. La situation étant très différente aujourd’hui, l’UTA donne le goût à plusieurs nouveaux étudiants de s’instruire. 
 
L’Université de Sherbrooke a fondé en 1976 la première Université du troisième âge en Amérique. Cristina Laguë, conseillère pédagogique à l’UTA, raconte que l’aventure de l’Université a commencé «tout petit» dans la ville de Sherbrooke, pour répondre à la forte demande des retraités de la région. L’initiative s’est ensuite élargie dans ses 26 antennes universitaires à travers la province. «Il y a eu un grand boom autour des années 1980 quand les programmes ont ouvert en Montérégie. La région de Montréal a suivi, il y a environ 10 ans.» Aujourd’hui, 11 810 étudiants, dont la moyenne d’âge est de 65 ans, s’instruisent pour le plaisir grâce aux 600 bénévoles. Souvent eux-mêmes retraités, ils rendent possible ce retour à l’école. Des conférences sur les fromages québécois, la naissance de l’opéra en passant par un exposé sur Hitler et sur l’intelligence des émotions, les cours donnés à l’UTA touchent tous les domaines qui peuvent intéresser les retraités. «Les baby-boomers arrivent en masse à la retraite, explique Cristina Laguë. La plupart ont fait des études et ne veulent pas seulement jouer au bingo ou à la pétanque.» 
Quarante ans les séparent
Mais qu’est-ce qui différencie un étudiant régulier de celui du troisième âge? Selon la conseillère pédagogique Cristina Laguë, les étudiants inscrits aux activités de l’UTA sont considérés comme des étudiants à part entière de l’Université de Sherbrooke. Ils possèdent une carte étudiante de l’établissement et ont droit aux réductions de la coopérative. Par contre, ils ne paient pas les mêmes frais de scolarité qu’un étudiant régulier. Pour 20 heures de cours, soit une session, l’étudiant du troisième âge débourse entre 75 et 80 $. «L’Université du troisième âge est autofinancée, affirme Cristina Laguë. Sans l’aide des bénévoles, il serait impossible de réaliser ces formations.» De plus, les aînés sont exempts d’examens et ne reçoivent pas de diplôme en fin de formation. «On étudie toutefois la possibilité d’avoir des programmes qui pourraient être crédités», ajoute-t-elle. 
 
Jacques Boulerice, auteur et professeur à l’UTA, a enseigné la littérature durant 30 ans au Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu. Depuis sa retraite, en 1999, il offre de son vécu aux aînés lors de conférences sur les contes et légendes ainsi que sur son dernier livre, qui aborde la maladie d’Alzheimer de sa mère. Pour ce professeur, il n’y a pas de différences entre les cégépiens et ceux qui sont de 30 ans leurs aînés. «Il y a toujours l’indiscipliné, le curieux ou le contestataire, lance-t-il, la voix rieuse. Une personne de 70 ans, c’est tout ce qu’elle était à 20 ans. Les gens arrivent chargés de leur vécu. Ils ont voyagé, lu et vécu des drames. Ils sont très généreux avec moi.» 
 
Plus efficace qu’une crème anti-ride qui permet à nos grands-parents de faire peau neuve, l’Université du troisième âge rajeunit leur âme.
 
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UQAM Générations
En 2004, l’UQAM offrait également un programme de cours réservé aux 50 ans et plus: UQAM Générations. Conférences, cours, cinés-débats et même la possibilité de suivre des cours menant à l’obtention d’un certificat d’études personnalisées spécialement conçu pour les personnes de 50 ans et plus étaient donnés. 
La directrice du Bureau des diplômés de l’UQAM, Manon Charron, explique qu’en 2008, UQAM Générations a mis fin à ses activités dans sa forme initiale. Le projet est ensuite passé aux mains du Bureau des diplômés qui organise des activités culturelles, artistiques et sociales réservées à ses 55 000 diplômés âgés de 50 ans et plus. L’Université n’a pu expliquer la raison de cette transformation du projet. Cristina Laguë, aujourd’hui responsable de l’UTA, travaillait autrefois pour UQAM Générations. Selon elle, les problèmes financiers de l’UQAM ont forcé la fermeture de cette branche destinée aux aînés. 
 
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Vieillissement de la population (données du Gouvernement du Québec)
1971 : Les personnes âgées de 65 ans et plus formaient environ 7% de la population. L’âge médian était de 26 ans.
2008 : Les personnes âgées représentaient 14,6% de la population. L’âge médian augmentait à 41 ans.
2031 : On prévoit que la proportion de personnes âgées grimpera à 25% et que l’âge médian atteindra 47 ans.
Le Québec compte actuellement 1,1 million de personnes de 65 ans et plus, et ce nombre doublera en 2031.

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