Peser ses mots

Pour certains amoureux du Scrabble, allier vocabulaire et stratégies mathématiques relève de la compétition. Lors de tournois et de championnats, la grille carrée et les petites lettres de bois dament le pion au simple jeu de table.

 

Courtoisie: club de Scrabble A-Bouch-B

 

Au Centre multifonctionnel de Boucherville, on jongle avec les lettres, vise le mot compte triple et tente de rafler plus de points que son voisin. Plus de 300 personnes ont participé, en octobre dernier, à la compétition inter-régionale de Scrabble Duplicate, un des plus grands tournois de l’année.
Les joutes de Scrabble se comptent par dizaines au Québec. Elles sont organisées par la Fédération québécoise des clubs de Scrabble francophone (FQCSF), qui regroupe 60 clubs à travers la province. Au cours de ces nombreux tournois annuels, le Scrabble rassemble près de 2 000 amateurs et en amène même certains à performer à l’étranger.

Couronné huit fois au Championnat de Scrabble du Québec, Germain Boulianne, traducteur au Parlement d’Ottawa, est également le seul Québécois à avoir remporté le Championnat mondial de Scrabble, en 2004 à Marrakech. Assis dans la première rangée de la salle de Boucherville, son jus de pomme et sa montre tout près, sa grille de jeu sous les yeux, le départ n’est pas donné que le joueur se concentre déjà. Pour Germain Boulianne, le Scrabble, c’est du sérieux. Il distingue d’ailleurs le simple jeu de table des compétitions auxquelles il participe depuis plus de 20 ans. «C’est comme un sportif qui court seul et un autre qui participe à un marathon, compare-t-il. La grosse différence, c’est l’adrénaline que ça procure.»

Le Scrabble, de A à Z
Mais comment plusieurs centaines de personnes peuvent-elles jouer sur une même plaquette de jeu? En appliquant les règlements du Scrabble dit duplicate. La présidente de la Fédération, Micheline Le Guillou, explique qu’il s’agit des mêmes grilles, mots et valeurs que le Scrabble traditionnel, à la différence que tous les participants jouent avec les mêmes lettres pour éliminer l’élément de chance de la pige. Une fois les sept lettres piochées, les joueurs disposent de trois minutes pour trouver le mot le plus payant. Un silence monastique s’empare alors du Centre multifonctionnel de Boucherville. Les quelque 300 têtes grisonnantes se creusent les méninges. Les mains sur les tempes, Germain Boulianne défend son titre de champion. Les billets contenant les solutions sont ensuite ramassés par les correcteurs et la réponse gagnante est ajoutée à la grille géante. «Ce qui rassemble les amateurs de Scrabble, c’est sans aucun doute l’amour des mots et de la langue, souligne Micheline Le Guillou. Mais il y a aussi beaucoup de mathématiques, car il faut maximiser les points.»

Puisque les compétitions se déroulent partout à travers la francophonie et qu’un vocabulaire local colore le parler des différents pays membres, un dictionnaire règlemente les mots acceptés ou non en compétition. L’Officiel du Scrabble (ODS), publié par Larousse, fait ainsi figure de référence pour tous les joueurs de Scrabble, de la Belgique au Bénin en passant par le Sénégal.. «Il prend en considération les québécismes ou les africanismes, de sorte que chaque pays y soit représenté», affirme la présidente de la FQCSF. Pour Germain Boulianne, ce dictionnaire devient parfois source de frustration, puisque le Québécois doit se limiter aux mots qu’il contient. Reste que pour le champion, le Scrabble permet de toujours se renouveler, car les possibilités sont infinies. Même s’il a accompli une partie parfaite la semaine précédente lors d’un tournoi à Gatineau, le champion se sent incapable de se remémorer  son meilleur coup. «Rendu à un certain niveau, on se souvient plus de ce qu’on rate que de ce qu’on réussit», soutient l’homme d’un ton posé.

À l’instar du hockey ou de la gymnastique, le Scrabble nécessite entraînement et préparation. Plusieurs se mettent au défi d’apprendre par cœur l’ODS. Germain Boulianne, lui, s’entraîne sur le Web et sur papier, en déclinant simplement les mots à partir d’une même racine. «C’est archaïque, mais ça marche bien dans mon cas. Je n’ai pas une mémoire phénoménale, il faut donc que je compense avec d’autres trucs», confie-t-il avec modestie.
Si d’autres compétitions comme celles des échecs permettent aux gagnants de remporter des sommes d’argent faramineuses, au Scrabble, l’honneur triomphe. «Chez nous, les champions reçoivent une médaille ou un trophée, affirme Micheline Le Guillou. Il faut donc être très motivé et aimer le français pour passer une journée entière assis à chercher des mots.»

Beaucoup d’amateurs, pour la plupart retraités, jouent jour après jour à ce jeu de société pour le côté social qu’amènent les tournois. Participante et bénévole à la correction, Nicole Bernier ne possède pas les mêmes ambitions que Germain Boulianne. «Le Scrabble, je pense qu’on l’a ou pas. Moi, je ne l’ai pas, lance-t-elle en s’esclaffant. Je joue une partie tous les jours sur l’ordinateur. Mais ce que j’aime le plus, c’est de rencontrer des gens, entretenir des amitiés et voyager.»

Selon Germain Boulianne, participer au tournoi de la Fédération est un défi différent que de seulement jouer sur Internet. «Certains joueurs sont meilleurs sur le Web. Mais en direct, sans avoir recours à un dictionnaire et aux sites Internet, c’est le meilleur qui gagne.»

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Fédération internationale de Scrabble francophone (FISF)
Année de fondation: 1978
Nombre de membres: 23 000
Nombre de pays membres: 24
Pays hôte du Championnat du Monde 2011: Montreux en Suisse

Fédération québécoise des clubs de Scrabble francophone (FQCSF)
Année de fondation: 1980
Nombre de membres: 2 000

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