Le labeur sans l’argent du labeur

Projet de loi C-32

La communauté artistique canadienne demande au gouvernement conservateur de changer son fusil d’épaule concernant le nouveau projet de loi C-32. Après des compressions budgétaires en 2008, les modifications apportées à la loi actuelle porteraient un autre coup dur aux artistes d’ici.

Mardi matin, cours de littérature. Les étudiants reçoivent une série de textes photocopiés pour en faire une analyse en classe. Une fois que le professeur aura déclaré chacun des extraits reproduits auprès d’une compagnie de gestion des droits d’auteurs, une compensation monétaire sera remise à leurs auteurs. Du moins, pour le moment. Le projet de loi C-32, s’il est adopté, permettra à ceux qui le désirent d’utiliser le travail des artistes à des fins académiques sans verser la moindre redevance. Une exception mal accueillie par les artistes du pays.
Le nouveau cadre légal du droit d’auteur fait dresser les cheveux sur la tête de nombreux artistes. Pour ces derniers, la mise à jour est plutôt un brusque retour en arrière. Le 30 novembre, une centaine d’entre eux se sont présentés sur la colline parlementaire à Ottawa pour manifester leur mécontentement. «Le bill C-32 représente un retour à l’esclavage», s’offusque Ninon Gauthier, présidente de la section canadienne de l’Association internationale des critiques d’art. Pour la doctorante en sociologie et histoire de l’art, la loi est un non-sens. «Les universités paient leurs professeurs, leurs chargés de cours, leurs employés de soutien, etc. Pourquoi ne paieraient-elles pas les artistes et les auteurs qui sont à la base de la connaissance?»  
Dans les faits, l’exception académique devrait permettre à ceux qui utilisent ces œuvres à des fins pédagogiques d’en faire usage comme bon leur semble. Fini les permissions à demander ou les redevances à payer: cette exception donnera la possibilité aux établissements d’enseignement, aux musées, aux bibliothèques et aux centres d’archives d’utiliser le travail des artistes gratuitement. Ainsi, un professeur pourra s’en servir en classe comme exemple sans avoir à rendre de comptes. Même chose pour les musées désirant publier sur Internet leurs collections, ils n’auront plus à attendre l’aval des artistes réticents.
Ce point de vue est partagé par la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ). Le vice-président aux affaires universitaires et responsable du dossier C-32, Guillaume Houle, précise d’ailleurs que la FEUQ est à l’origine de l’exception académique qui fait tant jaser. «L’exception académique est notre revendication première, insiste-t-il. Nous travaillons pour que les étudiants soient exclus des poursuites que peut entraîner l’utilisation de documents protégés par les droits d’auteur, si c’est dans un cadre d’apprentissage.» Pour le moment, si un étudiant utilise une œuvre pour laquelle son établissement n’a pas payé, son université et lui risquent une poursuite commune. La FEUQ est d’accord avec le fait qu’il faille payer les artistes, mais elle juge que ce n’est pas aux étudiants de délier les cordons de la bourse en cas de poursuite.  
L’éducation a un prix
L’Association des musées canadiens appuie quant à elle le projet de loi puisqu’il lui permet de remplir l’un de ses principaux mandats: l’éducation. «Les musées jouent un rôle éducatif important, soutient Audrey Vermette, directrice des programmes et des affaires publiques pour l’Association. Et ce, tant au niveau de leur communauté respective qu’au niveau des communautés nationale et internationale, par le biais de leurs sites Web. Dans cette optique, les objets que les musées possèdent, physiques mais aussi numériques, se doivent d’être partagés et diffusés.» Un point de vue vertement critiqué par Ninon Gauthier. «Les artistes ne touchent déjà rien sur les entrées aux musées ou si leur ouvrage change de propriétaire. Il faudrait qu’en plus, ils ne touchent rien sur sa diffusion sur Internet?»
Au Québec, 50 000 artistes, toutes disciplines confondues, dépendent des redevances provenant de ces milieux de diffusion. Selon Hélène Messier, directrice générale chez Copibec, une société de gestion collective qui administre les droits de reproduction de livres, d’articles de périodiques et de journaux et qui compte parmi ses partenaires l’UQAM, le projet de loi et ses nombreuses exceptions sont inacceptables. «Ils représentent une attaque directe envers les droits d’auteur, les créateurs et les sociétés de gestion, s’exclame-t-elle. Ce projet de loi met en péril toutes nos opérations!» Une pétition est d’ailleurs déjà en ligne sur le site de l’Assemblée nationale. Par la promotion d’une «Culture Équitable», la communauté artistique tente ainsi d’obtenir l’appui de la population. Selon les signataires de la pétition, le projet C-32 «coûtera cher à notre culture» s’il est entériné par la Chambre des communes.
En attendant les développements, les artistes canadiens continueront de manifester leur mécontentement. Déjà, l’Assemblée nationale et le Barreau du Québec se sont prononcés contre le projet de loi, principalement en raison des lacunes juridiques qu’il contient. «Pour les créateurs, cette loi est terrible, conclut Ninon Gauthier. Les conservateurs ont déjà coupé nos budgets, ils nous ont demandé d’être autosuffisants et maintenant, ils nous enlèvent nos revenus!»
 
 
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Le droit d’auteur à l’ère numérique
Déposé le 2 juin dernier devant la Chambre des communes par les ministres de l’Industrie, Tony Clement, et du Patrimoine canadien et des Langues officielles, James Moore, le projet de loi C-32 a été mis sur pied afin d’adapter la Loi sur le droit d’auteur aux nouvelles technologies. «La dernière mise à jour du régime de droits d’auteur remonte à la fin des années 1990, soit avant l’ère des  ».com », explique Geneviève Myre, du Service des relations avec les médias pour le ministère du Patrimoine canadien.» Ainsi, le projet de loi conservateur lutterait contre le piratage informatique avec une série de verrous numériques, en réponse à l’expansion du Web. Une plus grande diffusion de la culture sur Internet est également en ligne de mire, si le tout se fait dans un cadre pédagogique. Soumis en deuxième lecture le 2 novembre dernier, il est encore trop tôt pour déterminer l’avenir du projet de loi C-32. «La prochaine étape est l’examen du projet par un comité législatif, précise Geneviève Myre. Ce dernier entendra différents témoins et fera l’étude du projet de loi article par article.»

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