Donner son corps à la science
Les médecins du Moyen-Âge, spécialistes de la saignée, ont ouvert le sombre bal de l’étude anatomique. Aujourd’hui, c’est bien loin des pratiques sordides à la Sweeney Todd que les futurs cliniciens, chiropraticiens et thanatologues manient bistouri et scalpel, mais encore et toujours sur des cadavres.
L’odeur intense du formol pénètre les narines et rappelle les ateliers de dissection de grenouille au secondaire. Sur un échiquier de tables métalliques, 55 cadavres reposent, vidés de leur sang, froids et immobiles. Au laboratoire 203 du pavillon Strathcona de l’Université McGill, l’exposition funèbre dévoile des corps prêts à être examinés sous toutes les coutures. Sur cette toile de fond morbide, des silhouettes se dessinent, vêtues de longues chemises d’un blanc immaculé. Le terrain de jeu des étudiants de médecine et de dentisterie donne froid dans le dos. Pour eux, rien de plus banal. Ils dissèquent des heures durant, imprégnés d’une odeur nauséabonde qu’ils ne perçoivent même plus.
«Ici, on décortique en moyenne 80 corps par année», explique le Dr Daniels, professeur d’anatomie. La dissection de cadavres est aussi pratiquée à l’Université Laval, à l’Université Sherbrooke, à l’Université du Québec à Trois-Rivières et au Collège Rosemont, mais représente une réelle tradition au sein du programme facultaire de médecine et de biologie cellulaire.
La simulation sur des mannequins en plastique produits en série est vite obsolète pour l’étude appronfondie de l’anatomie humaine. «Les étudiants apprennent en scrutant les anormalités et les différences qui distinguent chaque corps. Ils doivent connaître l’anatomie humaine sur le bout de leurs dix doigts», précise le Dr Daniels. Les futurs praticiens, en utilisant de véritables corps, apprennent à simuler des interventions de chirurgie ouverte, ce que les simulateurs ne permettent pas. Seule l’anthropotomie, ou dissection humaine, permet l’apprentissage de gestes complexes à travers la perception tactile, ces gestes étant indissociables de la pratique de la médecine moderne.
Pour l’étudiante de première année en dentisterie Alia Al-Khateeb, la première dissection n’a pas été réjouissante. Elle était loin de se douter qu’elle aurait affaire à des cadavres humains. Ouvrir des corps et palper chacun de leurs organes ne faisait pas partie de ses préoccupations au moment de sa demande d’admission.
«Après quelques semaines de cours, on s’habitue. Je saisis maintenant à quel point l’anatomie dentaire est liée à l’ensemble du corps humain.» La jeune femme apprécie la pratique, mais est catégorique quant à l’idée de donner son corps à la science. «Je préfère donner mes organes séparément plutôt que de trouver ouverte sur une table de dissection.»
Se rendre utile au-delà de la vie
Pour le sexagénaire Marcel Gosselin, le choix s’est imposé de lui-même il y a quelques années. «C’est une tante qui m’a sensibilisé à ça, il y a environ 45 ans.» Le col bleu de Saint-Ubalde, non loin de Québec, avoue avoir opté pour le don de corps pour des raisons financières avant tout. En effet, les institutions d’enseignement sont chargées de défrayer les coûts de transport des corps et les frais de crémation à la suite des travaux pratiques des étudiants. Les cérémonies funéraires classiques sont toujours dispendieuses, d’où l’intérêt grandissant de donner son corps à la science après sa mort. L’Université McGill possède une concession au cimetière Notre-Dame-des-Neiges de Montréal. À la fin de chaque trimestre d’hiver, une cérémonie commémorative est organisée. «Les apprentis médecins témoignent de leur appréciation aux familles des défunts», affirme le Dr Bennet, anciennement responsable du programme de don de corps de l’établissement.
Petit guide de donneur de corps
Depuis 1994, l’Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale gère les admissions des donneurs. Révocable en tout temps, la décision de donner son corps ne comporte aucune obligation en vertu de la Charte des droits et libertés du Québec. Aussi, chaque candidat doit remplir une carte de don et la faire signer par deux témoins majeurs. Pour éviter les problèmes, des critères de sélection stricts ont été mis en place par l’Agence. Pour être admissibles, les corps doivent être délivrés aux institutions d’enseignement dans les 48 heures suivant le décès. Les bébés et enfants de moins de 16 ans sont automatiquement refusés, de même que les corps autopsiés ou infectés.
En 2009, 3780 cartes de dons de corps ont été signées à travers la province. Sur ce lot, seuls 247 corps ont été retenus, soit moins de 6% des candidats et ce nombre suffit amplement aux besoins des universités. «Se procurer des cadavres pour étude ne pose jamais problème, assure le Dr Daniels.
Au départ, les donneurs ont tous l’intention de se rendre utile au-delà de la vie. Admis ou pas, le prix de consolation est tentant: le don de corps est encore moins cher que des funérailles à rabais.
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