Le vampire qui m’aimait

Vampires dans la culture-pop

Dracula et ses copains dentés n’effraient plus personne depuis une éternité. Autant assoiffés d’amour que de sang, les vampires d’aujourd’hui séduisent tant les libertins que les puritains avec une fable millénaire sur les tabous sexuels.
Illustration:Dominique Morin

Un homme rentre à son appartement tard le soir. Seule la lueur du téléviseur éclaire le logis. Gémissements et soupirs résonnent depuis son salon. Flairant la bonne affaire, le coquin arrive à pas feutrés dans le salon pour découvrir que sa copine n’écoute pas Bleu Nuit mais plutôt True Blood, une série télé avec des vampires.

«C’est à la fois sexy et étrange. Je ne regarderais pas cette émission-là en compagnie de mes parents», avoue Marie-Claude, une Montréalaise de 30 ans. L’époque où les suceurs de sang terrifiaient des générations de cinéphiles et de lecteurs est désormais ensevelie dans une crypte humide. Avec des œuvres comme la saga de livres Twilight ou la série True Blood, diffusée sur la chaîne américaine HBO, les vampires contemporains ont une sensualité bien vivante.

Au cinéma comme en librairie, les créatures de la nuit croquent à belles dents dans le succès. Selon les données recueillies sur le site Box Office Mojo, sept des dix films de vampires les plus lucratifs au grand écran ont été lancés après 2001. Les trois premières adaptations de Twilight ont rapporté ensemble 789 millions de dollars. En comparaison, Interview with the Vampire (1995), tiré de l’œuvre d’Anne Rice, avait enregistré 105 millions. Quant à True Blood, une moyenne de cinq millions de téléspectateurs suivaient sa troisième saison aux États-Unis à l’été 2010.

Dans les deux histoires, une mortelle, jeune, marginale et vierge, tombe amoureuse d’un beau grand ténébreux qui s’avère être un lointain cousin de Dracula. «Pour le lectorat largement féminin de la série Twilight, le personnage du vampire Edward est parfait», soutient Samuel Archibald, professeur au département d’études littéraires de l’UQAM et spécialiste des films fantastiques. «Ici, la soif de sang est une métaphore du désir sexuel. Il revêt l’apparence d’un gars de 19 ans, mais possède un siècle d’expérience et se montre très protecteur envers sa jeune amoureuse.» Sa collègue au département des sciences de la religion , Ève Paquette, abonde dans le même sens. «Le vampire de Twilight représente l’interdit sexuel qui pèse sur l’héroïne adolescente dans un contexte social où la perte de la virginité chez les filles est une question d’actualité, notamment aux États-Unis.»

Contrairement à l’idée reçue, Twilight  n’est pas la chasse gardée des filles de 14 ans. À l’instar de ses collègues de travail, Marie-Claude a dévoré la série écrite par l’auteure de confession mormone Stéphenie Meyer. «Quand tu lis ces livres, tu revis les premiers moments magiques d’une relation amoureuse: le premier baiser, les papillons dans le ventre», reconnaît-elle. «Que le personnage masculin soit un vampire ajoute un côté mystérieux au récit.»

Par-delà l’interdit et le mal

Si Twilight se veut une fable moraliste de l’acte sexuel en soi, True Blood s’avère une cinglante critique du puritanisme social qui existe au pays de l’Oncle Sam. «Les vampires de True Blood, une série clairement destinée à des adultes consommateurs d’une culture alternative, sont une analogie du droit à la différence», explique Ève Paquette. Inspirée des romans de l’Américaine Charlaine Harris, l’œuvre présente une société où les vampires ont décidé de «sortir du cercueil» et de revendiquer des droits civiques, comme l’ont fait entre autres les Noirs et les homosexuels. «Dans le générique d’ouverture, on aperçoit un panneau sur lequel est écrit « God hates fangs » – Dieu hait les crocs – qui fait une allusion au slogan discriminatoire envers les gais « God hates fags »», remarque Samuel Archibald.

Un fossé immense sépare le monstre chauve aux doigts crochus du Nosferatu de Murnau (1922) et Robert Pattison, l’acteur coqueluche des fans de Twilight. Le vampire s’est-il érotisé au fil des décennies? «Aussi loin que remonte sa présence dans la littérature, il a toujours été un fantasme», affirme Samuel Archibald. «Ce qui a changé, c’est la perception de la société face à la sexualité.» En 1897, alors que la Grande-Bretagne de l’ère victorienne est à son apogée, l’auteur irlandais Bram Stocker dépeint son Dracula comme un être à l’aspect bestial et que désirable. Après tout, ce passage de Dracula où une femelle vampire s’apprête à mordre le narrateur n’est-il pas empreint d’un érotisme brûlant? «Elle se mit à genoux et se pencha sur moi, m’entoura d’un regard d’envie. De tout son corps émanait une volupté qui me semblait en même temps excitante et répugnante. Quand elle se pencha davantage, je pus voir qu’elle se lèchait les lèvres, comme un animal…» Durant les années 1980 et 1990, alors que le sida devient une question préoccupante, les romans d’Anne Rice présentent des vampires «très attirants, androgynes, sans sexualité génitale, mais pour qui la morsure de leurs victimes constitue l’acte suprême. Les personnages de fiction qui transgressent les interdits sont présents en quelque sorte pour rappeler au public les normes et les limites. », précise Ève Paquette.

Si le comte Dracula ne pouvait regarder son image dans le miroir, le mythe du vampire a la capacité de refléter les zones grises d’une société vis-à-vis ses mœurs.  De l’avis de Samuel Archibald, ces êtres à la passion dévorante ne sont pas prêts à remettre un pied dans la tombe car, en ces temps de conservatisme, «la figure du monstre rejaillit et dévoile notre bête intérieure».

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