Mais où sont les cordons roses?

La gent féminine, sous-représentée dans les hautes cuisines

Pour plusieurs aspirantes chefs, carrière et famille sont deux ingrédients qui se marient difficilement. Des horaires longs et atypiques, une pression constante, une équipe à gérer: dans ces conditions, les femmes peinent à prendre leur place dans les grandes cuisines. 
 
Photo: Frédéric Ménard-Aubin
Qu’ont en commun Normand Laprise du restaurant Toqué!, Ferran Adria de la cuisine d’El Bulli et le renommé Paul Bocuse? Oui, ils sont reconnus pour être les plus grands chefs cuisiniers de l’heure. Mais encore? Ah oui, ce sont tous des hommes. En effet, les femmes sont rares à diriger la brigade d’une cuisine. Pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses à fréquenter les écoles hôtelières.
 
Au programme de cuisine professionnelle de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), le taux d’inscription féminin est passé de 38,7% à 41,2% entre 2007 et 2010. «Il y a de plus en plus de femmes dans les écoles hôtelières, il devrait donc avoir plus de femmes chefs. Mais dans les faits, ce n’est pas ce qui se passe», affirme Anne Desjardins, chef et copropriétaire du restaurant L’Eau à la bouche à Sainte-Adèle dans les Laurentides. 
 
Selon elle, le prestigieux titre de chef est bien souvent délaissé par la gent féminine dès que le compte à rebours de l’horloge biologique est enclenché. «Être chef, c’est excessivement exigeant et on a pas trouvé le moyen de faire des enfants autrement que par les femmes!», s’exclame-t-elle le sourire dans la voix. Il est très difficile de donner des congés de maternité et il est impossible de diminuer le nombre d’heures d’un chef exécutif après une grossesse». Pour ces raisons, les femmes renoncent bien souvent à leurs ambitions professionnelles et celles qui persistent n’ont, pour la plupart, pas d’enfants.
 
C’est le cas de Stéphanie Gagnon, chef à seulement 21 ans au restaurant Les Cavistes à Montréal. Son ascension vers le poste de chef a exigé plusieurs sacrifices dans sa vie sociale et personnelle. «Je n’ai pas beaucoup d’amis, je ne tiens pas à me marier et je ne veux pas d’enfants. Ma job, c’est ce qui passe en premier».
 
La chef ajoute que si son conjoint ne travaillait pas, tout comme elle, dans l’industrie de la restauration, leur relation serait vouée à l’échec. «Être cuisinier, ce n’est pas du 9 à 5, tu travailles quand les gens ne travaillent pas, lance-t-elle avec conviction. Il faut donc avoir des horaires qui se ressemblent».
L’exception qui confirme la règle
 
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Anne Desjardins a réussi à fonder une famille tout en dirigeant son restaurant. «Ma maison était située juste au-dessus de mon établissement, mais surtout, j’avais un conjoint exceptionnel qui passait beaucoup de temps avec les enfants tout en étant mon partenaire d’affaire». 
 
Anne Desjardins est l’une des rares femmes au Québec à avoir acquis et conservé le titre de chef. Depuis plus de 30 ans, elle dirige la cuisine d’un restaurant faisant partie du select réseau mondial d’hôtels et de restaurants Relais & Châteaux. Elle est également chroniqueuse cuisine pour l’émission Par-dessus le marché du réseau TVA, auteure d’un livre de cuisine, et ce, tout en étant mariée et mère de deux enfants.
 
Si la renommée chef cuisinière déplore le manque d’ambition et l’abandon de plusieurs femmes cuistots, elle ne remet pas en question le talent de ses collègues. Anne Desjardins et Stéphanie Gagnon soulignent le sens artistique plus développé des femmes ainsi que leur organisation et la propreté de leur travail en cuisine. 
 
Ce sont d’ailleurs ces qualités que Robert Herrera et Maude Theroux-Séguin, copropriétaires du restaurant Les Cavistes, ont remarqué en embauchant Stéphanie Gagnon, première femme chef de l’établissement. «Nous n’avons pas du tout été bloqués par le fait d’engager une femme chef, assure Robert Herrera, pour nous il n’y a pas de différences.» 
 
Selon l’ITHQ, le travail en cuisine est le 9ième domaine non traditionnel le plus convoité par les femmes. Alors si ces dernières délaissent le poste de cordon bleu, vers quoi se dirigent-elles plutôt ? Anne Desjardins affirme qu’elles sont nombreuses à opter pour la pâtisserie, à travailler dans des casinos ou des hôtels. Bref, là où les horaires sont beaucoup plus compatibles à l’éducation des enfants et à une vie sociale plus active.
 
Reste à savoir si l’arrivée massive de femmes dans les écoles hôtelières renverser la vapeur dans les mœurs du milieu de la restauration.

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