L’opéra à quatre sous

Démocratisation des arts lyriques

L’opéra, ce mal-aimé des arts de la scène, se lance dans une véritable croisade contre les préjugés qui entourent l’icône grinçant de la Castafiore. Montréal Campus s’infiltre dans les coulisses de l’Opéra de Montréal, qui travaille d’arrache-pied à revamper son image.

Courtoisie: Yves Renaud

Il est 17h à la station Berri-UQAM. Entre les pas pressés et les regards fatigués, des ténors et des sopranos réussissent à captiver la foule. Les voix puissantes et justes titillent les oreilles des passants qui se réjouissent d’entendre autre chose que le boucan habituel du métro. Loin des chanteurs de rue qui quémandent de l’argent aux passants, l’Opéra de Montréal (OdM) donne des mini-récitals dans les couloirs souterrains. Leur leitmotiv: familiariser les Montréalais avec l’opéra. 

«Quand les gens pensent à l’opéra, ils s’imaginent un mastodonte qui chante comme un système de son», lance Pierre Vachon, directeur des communications et du marketing à l’Opéra de Montréal. L’homme qui essaie tant bien que mal de rendre les arts lyriques accessibles est bien conscient des fausses croyances qui les talonnent. Encore aujourd’hui, l’opéra est perçu comme un art élitiste qui ne peut être consommé que par la haute société, avance-t-il. «Je me fais régulièrement demander si le port du jean est acceptable pour une représentation à l’opéra. Il y a de place pour les gens qui veulent être sur leur trente-six, mais il y a également de l’espace pour ceux qui veulent être plus débraillés», soutient l’homme qui a eu pour mission de remettre l’OdM sur pied.
Le lifting de l’OdM

En 2006, le gouffre financier dans lequel s’enfonce l’Opéra de Montréal menace sa survie. Au seuil de la faillite, la maison d’opéra montréalaise décide de changer radicalement sa manière de faire. «On est allé sur le terrain, dans le métro et sur le parvis de la Place des Arts pour gagner les fans un à un. L’Opéra de Montréal a ouvert ses portes au public avant les représentations pour faire connaître notre art», s’emballe Pierre Vachon.

L’Opéra de Montréal est passé, entre 2006 et 2010, sous le bistouri de vrais chirurgiens esthétiques. «Notre auditoire vieillissait, nous devions faire entrer l’opéra dans la modernité», explique le mélomane endurci. La cure de rajeunissement a porté fruit parce qu’en 2010, 30% des abonnés à l’Opéra de Montréal ont entre 18 et 30 ans. 

Pour le docteur en musicologie, l’opéra peut autant avoir la cote que les Canadiens de Montréal. «Il suffit simplement de multiplier nos portes d’entrée, de désacraliser l’opéra et de permettre aux gens d’en comprendre les codes.»

Dans la foulée de la vaste opération de démocratisation, l’OdM porte un dernier coup de grâce avec la série documentaire Apéro à l’Opéra, diffusée sur les ondes de ARTV jusqu’au 9 mars. Les six épisodes sont une incursion dans le laboratoire opératique. De l’interprétation aux techniques pointilleuses de chant, l’univers lyrique est mis à nu. Cette série, qui se veut un cousin des populaires téléséries Star Académie et American Idol, relate le périple de six chanteurs amateurs qui font leur classe dans la cour des grands. Avec Normand Chouinard comme metteur en scène et le ténor Marc Hervieux comme coach, les apprentis chanteurs lyriques bénéficient d’un puissant arsenal pour leur enseigner les rudiments du métier. 

Apéro à l’Opéra a donné la chance à la lauréate Annie Sanschagrin d’aller sur les planches de la salle Wilfrid-Pelletier le 13 février pour interpréter deux airs de Tosca. Mère de cinq enfants et amoureuse de musique classique, Annie Sanschagrin réussit à nourrir sa passion en enseignant le chant. La trentenaire est persuadée que le public montréalais a tout à gagner à connaître davantage l’univers lyrique. «Il suffit de se donner la peine de lire les histoires, elles sont encore actuelles. La pièce Madame Butterfly raconte l’histoire d’une jeune fille enceinte abandonnée par le père de son enfant. C’est encore dans l’air du temps», lance l’ancienne chanteuse rock. À la représentation générale de Tosca donnée devant une salle comble de 2300 adolescents, Annie Sanschagrin a su retrouver la fougue des spectacles qui ont marqué sa première vie. «Les jeunes apprécient. À la fin, les applaudissements et le tapage étaient si forts que j’avais l’impression d’être au Forum.» 

«Les retombées sont inouïes. Apéro à l’Opéra est dans le top cinq des émissions les plus écoutées à ARTV», mentionne Pierre Vachon, visiblement satisfait. Il ajoute du même souffle que le travail n’est pas achevé et que persiste encore une foule de préjugés au sujet de l’opéra, notamment l’accessibilité des prix. «Les billets pour une représentation à l’opéra ne sont pas plus chers qu’un concert rock ou qu’un match des Canadiens.»
De Montréal à Paris 

L’Opéra de Montréal, qui figure parmi les quinze plus importantes maisons d’opéra en Amérique du Nord, n’est pas la seule à vouloir éradiquer son image princière. À Paris, le festival Opéra des rues, s’approprie la voie publique pour donner une visibilité à ce genre musical classique, un week-end par année. L’Opéra de Valencia, en Espagne, a pris d’assaut el mercado. La vidéo qui circule sur Youtube a attiré plus de 2,5 millions de regards.  Habillé d’un tablier, à côté du marchand de fruits et légumes et du boucher, un chanteur d’opéra fait entendre sa voix portante. Les passants s’immobilisent, interloqués. Les transactions s’arrêtent. D’autres chanteurs d’opéra apparaissent dans la foule en faisant aller leur appareil vocal. Le public est fasciné. 

Pour Rosemarie Landry, professeur de chant à l’Université de Montréal qui a foulé les scènes de la plupart des grandes compagnies d’opéra, la toile est un indéfectible allié pour la démocratisation de son art. «Internet aide à dépoussiérer l’opéra et rejoint les jeunes là où ils sont», fait remarquer celle qui a plusieurs années de métier derrière le collet. 

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