Famille tissée serrée

Maisons bi-générations

Grand-papa s’installe dans une annexe de la maison familiale: cauchemar, prémisse d’une loufoque sitcom ou nouvelle vague pour rapprocher les générations au sein de la famille?
«Valéry m’a toujours dit: maman, tu n’iras jamais dans un foyer pour personnes âgées», confie Jeannine Ouellette, tout sourire. Par un samedi ensoleillé, la grand-maman accueille Montréal Campus dans son petit studio, accompagnée d’une voisine immédiate très proche d’elle. En effet, de l’autre côté du mur se trouve le bungalow de sa fille. Ils habitent une maison bi-génération. 

Ces maisons sont conçues pour offrir deux unités d’habitation à une seule adresse. Elles permettent donc à deux générations d’une famille de vivre sous le même toit. Jeannine Ouellette est parfaitement autonome dans son studio: cuisinette, petit salon et salle de bain répondent à ses besoins. Mais elle peut toujours compter sur ses voisins en cas de pépin. De plus, elle a la joie de voir grandir sa petite-fille, Alexie, 19 mois. Chaque soir, la fillette soupe avec sa grand-mère, permettant à ses parents de souffler un peu en arrivant du boulot. 

Il suffit de feuilleter un encart immobilier pour constater la popularité croissante de ce type d’habitation au Québec. La maison bi-génération permet à plusieurs aînés d’éviter le foyer pour personnes âgées ou l’isolement d’une maison trop grande. «La maison bi-génération est issue d’un compromis: la volonté de soutenir les parents dans leurs vieux jours tout en gardant une certaine distance», explique l’anthropologue Manon Boulianne. En 2004, la professeure à l’Université Laval a produit une étude menée auprès de quelques dizaines de familles habitant de telles résidences dans la région de Québec. 
«L’autonomie et l’indépendance sont chères aux Québécois. Il y a une distance idéale à respecter entre parents et enfants.» D’où l’importance pour chaque ménage d’avoir ses espaces réservés. 
Bi-génération urbaine

Dans la plupart des cas, la maison bi-génération est un bungalow ou un cottage modifié pour avoir deux sections habitables complètement autonomes. Des types de maisons qui pullulent en banlieue mais difficiles à trouver sur l’île de Montréal. Pour Mona Trudel, la solution a été le triplex. La professeure à la faculté des arts de l’UQAM et son mari partagent depuis maintenant trois mois un triplex avec ses deux fils, sa belle-fille et ses deux petits-enfants. Chacun a son étage. «C’était une façon d’aider mes fils à devenir propriétaires, tout en me rapprochant de mes petits-enfants, raconte la grand-maman. Avec le prix de l’immobilier, c’est difficile pour une jeune famille de se lancer dans l’achat d’une propriété. Comme j’ai un horaire chargé, la proximité me permet de passer du temps avec eux plus régulièrement.» 

Le voisinage avec ses proches permet l’échange de services qui allègent le quotidien, soutient Mona Trudel. «Si j’ai besoin de quelques épices pour une recette, je n’ai qu’à descendre voir mon fils. Quant à lui, il peut toujours compter sur grand-maman pour garder les enfants à l’occasion.  Quand nous partons en voyage, on a quelqu’un pour ramasser le courrier, arroser les plantes, surveiller le loyer, etc. On vit en communauté sans les désagréments de vivre dans la même maison.»
Programmes incitatifs inexistants

L’anthropologue Manon Boulianne croit que la maison bi-génération est un excellent outil pour affronter le vieillissement de la population. Les personnes âgées de plus de  65 ans devraient représenter 28% de la population québécoise en 2056 (contre 14% en 2006). La professeure met toutefois en garde: «Ce n’est pas une panacée. Les maisons bi-générationnelles ne sont pas pour tout le monde. Les familles qui se lancent dans l’aventure sont des parents et des enfants qui s’entendent très bien avant même d’emménager côte à côte.» 

À l’heure actuelle, aucun programme gouvernemental n’encourage l’établissement de maison bi-génération. Les familles qui souhaitent entreprendre de coûteux travaux pour convertir leur maison ou en construire une nouvelle doivent le faire à leur frais. Elles ne peuvent compter sur des allègements fiscaux. Manon Boulianne verrait d’un bon œil l’instauration d’un programme d’aide, «sans pour autant qu’il y ait une pression sociale qui s’installe et que les gens se sentent obligées de prendre leurs parents à charge», souligne-t-elle.  

La recette pour une cohabitation intergénérationnelle réussie? «Savoir établir ses limites, respecter l’intimité de chacun et être capable de se parler quand des problèmes se pointent», répondent Jeannine Ouellette et sa fille Valéry. «La maison bi-génération a son lot d’avantages, souligne Manon Boulianne, mais ça devient moins rose quant la belle-mère vient s’interposer dans le barbecue que vous préparez en vous disant quoi faire!»
Retour aux sources?

La maison bi-génération permet d’être tout près sans se taper sur les nerfs. Nos ancêtres n’avaient cependant pas ce luxe, et devaient cohabiter dans la même chaumière. «Autrefois, les familles multi générationnelles étaient la norme au Québec, explique l’anthropologue Manon Boulianne. Souvent, le fils le plus jeune héritait de la terre. En contrepartie, lui et sa famille prenaient soin des vieux parents jusqu’à leur mort. Ça compliquait le mariage: il fallait absolument avoir une bru qui s’entendait avec la belle-mère!» Dans la majorité des cultures, les enfants doivent s’occuper des parents quand ceux-ci vieillissent. Mais en Occident, la coutume s’est perdue en raison des contraintes de la vie moderne. «Même au Japon, où la tradition est tenace, la tendance s’essouffle», remarque-t-elle.

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