L’entreprise était casse-gueule. Signer une histoire de prison de deux heures et demie qui soit originale, pertinente et sans flottements. S’ils furent nombreux à Cannes à pressentir Un prophète pour remporter la Palme d’Or, au-dessus même des Antichrist de Von Trier et Ruban blanc de Haneke, ce n’est pas du tout banal. Jacques Audiard réussit son pari avec une œuvre où réalisme et onirisme convergent magnifiquement, avec un jeune interprète (Tahar Rahim) de grand talent.
Malik El Djebena est un Maghrébin de 19 ans qui écope de six ans de prison. Bien vite, il est aux prises avec la dure réalité du milieu carcéral, plutôt mal accueilli par ses comparses arabes. Tout bascule lorsque les Corses, groupe dominant du pénitencier, approchent Malik et l’obligent à tuer pour eux un autre prisonnier arabe. Le reste du film s’appliquera à exposer très pertinemment la montée du prodige dans l’échelle du pouvoir, du simple serveur de café des Corses à leader secret du trafic de haschich. Agissant sous l’aile d’un mentor incisif (Niels Arestrup, phénoménal), Malik trace petit à petit sa destinée.
Là où Un prophète diffère des autres films sur la montée au pouvoir d’un néophyte (Scarface, Goodfellas et autres), c’est qu’Audiard ajoute une superbe dimension surréelle à son récit. Aidé par un ange gardien, guidé par des visions, le jeune prophète est doté d’un sixième sens inné, un instinct infaillible qui lui permet d’accumuler les petits exploits. Tout cela s’inscrit dans l’incroyable spiritualité qui émane du film, atmosphère soutenue par les superbes parades d’une caméra épaule pilotée par Stéphane Fontaine. On reconnaît désormais le style exceptionnel de Jacques Audiard à cette symbiose du réalisme brut et de la poésie visuelle captée par une caméra jamais passive.
Le cinéaste français poursuit avec ce film la construction de son œuvre autour de l’évolution d’un personnage central impuissant de prime abord, mais qui sait finalement tirer son épingle du jeu. Comme pour Mathieu Kassovitz dans Un héros très discret et Romain Duris dans De battre mon cœur s’est arrêté, Audiard nous offre Tahar Rahim avec ce même regard de fascination, une admiration devant le héros ordinaire aux actes extraordinaires. Un prophète est une grande œuvre, de par l’universalité qui s’en dégage, de ce merveilleux récit sur l’identité d’un personnage polymorphe aux deux langues maternelles et de cette fusion des cinq sens. LE film de l’année dans le cinéma mondial. En salles dès le 26 février.
Un prophète, de Jacques Audiard, France / Italie, 155 min.
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