Les autochtones frappés durement par le cancer
Les premiers citoyens de l’Amérique sont deux fois plus touchés par le cancer que le reste du Québec. Impuissantes devant cette considérable augmentation de l’impitoyable maladie, les communautés autochtones tentent tant bien que mal d’affronter l’innommable.
Longtemps épargnés par le fléau du cancer, les membres des Premières Nations sont maintenant rudement affligés par la maladie la plus mortelle d’Occident. Quasi inexistants il y a 25 ans, les cas de cancers ont explosé dans les populations autochtones selon une récente étude menée par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
Si l’on se fie aux chercheurs, l’incidence du cancer chez les communautés autochtones a en effet rattrapé, voire dépassé dans certains cas, l’incidence du cancer parmi le reste de la population. «Le nombre de nouveaux cas de cancer et le nombre de décès par cancer ont plus que doublé entre 1984 et 2004», s’inquiètent dans le document l’épidémiologiste Rabiâ Louchini et le responsable du Fichier des tumeurs du Québec, Michel Beaupré.
Les travailleurs de la santé qui tiennent le fort dans le Grand-Nord québécois ressentent les effets de cette crise. «Ce n’est pas une surprise, affirme Serge Déry, directeur de la santé publique du Nunavik. On avait remarqué sur le terrain une hausse marquée des cas de cancer ces dernières années.»
Même son de cloche au Centre de santé et de services sociaux de Manicouagan, qui dessert une importante population autochtone. «Depuis 2005, je me suis occupé de cinq nouveaux cas, alors que dans les dix années précédentes, je n’en avais vu que deux», témoigne l’infirmière pivot en oncologie, Nicole Larouche, visiblement préoccupée par la croissance du phénomène.
Les Atikamekw sévèrement touchés
Dans les communautés atikamekw, en Haute-Mauricie, le cancer frappe deux fois plus que dans l’ensemble du Québec. Entre 1988 et 2004, 106 décès liés au cancer sont venus affliger les membres des trois réserves atikamekw. Pour la communauté de 5 000 âmes, le nombre de victimes fait frémir. «C’est quelque chose qui fait peur. Chaque mois, de nouveaux cas se déclarent dans notre communauté», signale d’une voix préoccupée la grand chef du Conseil de la nation Atikamekw, Eva Ottawa, dont le père a d’ailleurs été victime d’un cancer, 5 ans auparavant.
La maladie est désormais une réalité incontournable et l’impuissance de la communauté face à ce nouveau mal est palpable. Tommy Moar, du Conseil de la nation Atikamekw, a vécu l’arrivée du cancer dans les réserves. «Il y a une dizaine d’années, on n’en entendait pas beaucoup parler, évoque-t-il, songeur. Mais maintenant, la situation nous préoccupe, on se demande pourquoi il y a de plus en plus de victimes chez nous.»
Chaque Atikamekw semble connaître quelqu’un aux prises avec ce nouveau mal. «Au bureau, on est une centaine de personnes et j’en connais cinq qui sont malades ou en rémission, confie Tommy avec émotion. Il y a même un membre de ma famille qui combat le cancer présentement. Le pire, c’est qu’il est malade depuis deux ans et ne veut pas aller à l’hôpital. Quand il va s’y rendre, il n’y aura plus rien à faire.»
Les autochtones, surtout les personnes âgées, semblent méfiants vis-à-vis de la médecine moderne. «Dans notre communauté, la médecine traditionnelle est encore très valorisée, explique l’homme dans la trentaine. Il y a bien des visites annuelles, mais quand les gens sont malades, comme mon grand-père, ils sont réticents à se rendre à l’hôpital.»
Un mode de vie bouleversé
Dans les communautés autochtones, on montre du doigt la modification des habitudes de vie pour expliquer la fulgurante progression des cas de cancer. «Notre mode de vie a changé. On mange moins de gibier et on va plus souvent au restaurant, fait remarquer Tommy Moar. On a pris des habitudes de vie occidentales.»
Dans l’étude commandée par l’INSPQ, l’épidémiologiste Rabiâ Louchini abonde dans le même sens. «Le changement de mode de vie de ces populations peut en effet favoriser l’émergence des pathologies chroniques comme le cancer qui jadis étaient surtout présentes dans la population non autochtone.» Le directeur de la santé publique du Nunavik, Serge Déry, est d’accord avec l’hypothèse des chercheurs. «On voit très bien apparaître un changement dans les habitudes de vie des communautés autochtones, souligne-t-il. Ils adoptent davantage un style de vie occidental qui favorise l’apparition du cancer.»
Le personnel des services de santé à proximité des communautés autochtones fait tout en son pouvoir pour freiner l’hémorragie. «On travaille actuellement avec les communautés sur différents projets, notamment sur l’établissement d’une politique qui favorise une meilleure accessibilité aux aliments traditionnels pour les personnes qui ne peuvent s’en procurer», explique Serge Déry, plein de bonne volonté.
Le défi est toutefois énorme. En effet, dans les réserves, plus de deux autochtones sur trois sont fumeurs. Presque 40% des décès par cancer chez les autochtones du Québec sont causés par la cigarette. «Il y a énormément de jeunes qui fument dans nos communautés, alors on essaie d’organiser des activités de sensibilisation dans nos écoles», signale la grande chef de la nation atikamekw, Eva Ottawa.
Malgré l’énorme travail de prévention réalisé par les autorités publiques, une hausse des cas de cancer au cours des prochaines années est inévitable dans les communautés autochtones, anticipe Serge Déry. «C’est fort probable qu’il y aura une augmentation encore plus marquée puisque les effets des changements d’habitudes de vie ont une incidence à moyen et à long terme», évoque-t-il, sentencieux. Déjà aux prises avec un taux astronomique de suicide et d’alcoolisme, les communautés autochtones n’ont donc pas fini de pleurer leurs morts.
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