Hors d’onde

Radioroman, genre oublié

Une anthologie imposante, bien gardée dans les tendres souvenirs de nos aînés, et quelques fioritures sur la bande AM: est-ce tout ce qui subsiste du radioroman? Chronique d’un genre qui peine à survivre sur les ondes de la province.

Illustration: www.simonbanville.com

«Tous les jours en revenant de l’école à 16h15, je me dépêchais de jeter mon sac dans un coin pour partager Les aventures de Madeleine et Pierre, bien assis près de la radio familiale. Il ne fallait pas manquer une émission: tout le monde allait en parler le lendemain dans la cour de récréation!» se souvient Lucien Aubry, octogénaire au sourire moqueur coulant ses vieux jours à Trois-Rivières.

Du haut de ses douze ans, le jeune Lucien baignait alors dans un monde rythmé par les radioromans. Ces émissions de radio quotidiennes, véritables rendez-vous, racontaient les péripéties de personnages truculents. «La pauvre Donalda, elle avait dont de la misère!» s’exclame-t-il, se remémorant avec douce nostalgie le célèbre personnage des Belles Histoires des pays d’en haut.

Le radioroman – aussi appelé roman savon, dans le cas des émissions destinées aux ménagères et commanditées par les compagnies de lessive – a occupé une place importante dans la vie de générations de Québécois. «C’était essentiellement du théâtre qu’on mettait en onde, explique l’auteur de Histoire de la radio au Québec, Pierre Pagé. Ces émissions fleuves, étalées sur plusieurs saisons, présentaient des acteurs de talent et une écriture dramatique de grande qualité.» De 1930 à 1970, 71 feuilletons radio sont diffusés aux quatre coins de la Belle Province, permettant à plusieurs auteurs et comédiens de l’époque, tels que Denise Pelletier, Gratien Gélinas et Guy Mauffette, de vivre de leur art, ce qui était difficile à l’époque. «Les radioromans ont fait découvrir toutes les régions du Québec à l’ensemble des auditeurs de la province, avec des personnages, des situations et un parler dans lequel ils se reconnaissaient», explique Pierre Pagé.

Depuis, le genre s’est transposé au petit écran. «Dans les années soixante, la télévision attire toujours plus de commanditaires et la radio se transforme pour présenter essentiellement de la musique, de l’information et de la variété», précise l’historien.

Un radioroman sans gras trans

Aujourd’hui, il reste bien peu de choses du radioroman. Néanmoins, quelques intrépides de la radio ressuscitent périodiquement le genre. Ce fut le cas de Mathieu Dauphinais, Guillaume Touzel-Bond et leurs acolytes de l’émission Oméga 4, seul radioroman à avoir surfé sur les ondes de CHOQ.FM, la webradio de l’UQAM. «Au départ, on voulait faire une émission d’affaires publiques sérieuse, mais le directeur de la programmation n’a pas trop aimé notre concept, plaisantent les diplômés en journalisme. On a donc proposé l’idée impromptue d’un radioroman, et ça a marché!» Résultat: une demi-heure hebdomadaire d’un feuilleton déluré ou s’entremêlent actualités et absurdités désopilantes. Bouli le bonhomme de neige, de la célèbre série télévisée jeunesse, est même venu déclencher une autre crise du verglas sur le parlement canadien afin de donner une leçon à Stephen Harper.

Les comparses n’étaient pas conscients de l’immense héritage qu’ils poursuivaient en se lançant dans ce format d’émission. «On s’est basé sur ce qu’on savait. On avait tous déjà fait du théâtre, de l’impro ou de l’animation», poursuit Guillaume Touzel-Bond. Qu’à cela ne tienne, ils ont trouvé le moyen d’innover. «Parce qu’il était difficile de se rencontrer tous ensemble chaque semaine, on a adopté l’écriture à relai. Ça ajoutait au comique de nos histoires, assurément!»

Dépassé, le radioroman?

Pierre Pagé, auteur de Histoire de la radio au Québec, croit toujours en la magie du radioroman. «Contrairement à la télévision, la radio stimule l’imagination des auditeurs. Quelques klaxons suffisent à vous transporter au cœur du centre-ville, alors que le ressac des vagues vous emmène sur le bord du Saint-Laurent.» Selon lui, c’est aussi une forme d’expression dramatique achevée. «C’est un sacré défi pour un acteur de faire passer des émotions en utilisant uniquement sa voix.»

«Peut-être que les sketchs ont remplacé le radioroman», songe Mathieu Dauphinais, cherchant l’approbation de son comparse d’Oméga 4. Une chose est sûre, l’aventure du radioroman aura tissé les ficelles de leurs propres histoires. Les deux potes animent aujourd’hui le magazine sportif Jase et compte à CIBL. L’un entreprend un mémoire sur l’intégration de l’humour à l’information et l’autre est tombé amoureux d’une des collaboratrices de leur radioroman. Comme quoi la réalité vaut bien souvent la meilleure des fictions.

À la première chaîne radio de Radio-Canada, on a tenté à quelques reprises de ressusciter le genre. Le Mont de Vénus, diffusé l’année dernière, rapportait en quelques minutes le potinage et les discussions dérisoires de cinq copines lors de leur séance d’entraînement hebdomadaire sur le mont Royal. La réalisatrice de ces petites capsules, Nadia Peiellon, croit toujours en ce format radiophonique. «Le radioroman fait place à l’émotion et au ludique, et nécessite une écriture extrêmement bien ficelée. Il y aura toujours un public pour ça.» Celle qui est maintenant à la barre de C’est bien meilleur le matin croit que le genre saura revivre, notamment grâce aux nouvelles technologies. «Avec la baladodiffusion, c’est un genre qui pourra s’adapter à d’autres plateformes que la radio.» La réalisatrice dévoile d’ailleurs qu’un projet de radioroman est présentement en chantier à Radio-Canada, «et mettra en scène de gros noms», mais s’est gardée d’en dire plus. L’émission devrait être dévoilée l’année prochaine.

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