J’aurais voulu être critique

Critiques amateurs en ligne

Pas besoin d’un doctorat pour être critique de cinéma.  Il suffit d’une connexion Internet, d’une foule d’amis et de beaucoup de temps libre. En échange de votre appréciation de l’œuvre, des distributeurs vous donnent des billets gratuits! Peut-on vraiment s’improviser critique culturelle?

Illustration Pascaline Lefebvre

Vous êtes passionnés de culture mais sans-le-sou? Divers sites promotionnels offrent aux internautes des billets à tarifs réduits pour des spectacles, projections et expositions. Le hic: en l’échange d’un prix d’ami, les promoteurs réclament votre appréciation de l’œuvre. Pure générosité ou coup de marketing ? Si les promoteurs sont ravis, les journalistes culturels, eux, rappellent qu’une critique achetée est avant tout une publicité.

Atuvu.ca est l’un de ces sites promotionnels qui offrent des billets à rabais à ses membres en échange de leurs critiques personnelles publiées en ligne. Des billets pour toutes sortes d’événements sont offerts: cinéma, danse, magie, théâtre. En surfant sur le site, on apprend que les membres doivent aussi faire la promotion des événements autour d’eux. Ces membres sont-ils de véritables critiques? Pas selon Simon Chamberland, webmestre et cofondateur du site Atuvu. «Les membres restent des spectateurs, mais ils doivent faire un effort pour en parler dans leur entourage», explique-t-il. D’ailleurs, on donne à ces membres le statut d’ambassadeur des œuvres qu’ils ont vues.

Crédibilité critique

Devant les critiques d’internautes, les professionnels mettent les pendules à l’heure. S’improviser critique n’est pas si facile et la crédibilité y est pour quelque chose, met en garde Anabelle Nicoud, journaliste culturelle à La Presse. «On ne peut pas mettre ces évaluations au même niveau que les textes des critiques professionnels. Ce  ne sont pas des critiques mais bien des commentaires. Il y a une différence entre Alain Cormier et Lise B., 49 ans.» Pour elle, les commentaires sur les sites comme Atuvu.ca ont la même valeur qu’un vox-pop. «Ce sont des prises d’opinion du public conçues pour faire le marketing d’un produit de divertissement. À la manière d’une campagne électorale, on cherche des faiseurs d’opinions pour augmenter la visibilité», explique-t-elle.

Amanda peut en témoigner. Après avoir participé à un concours en ligne, cette étudiante à Polytechnique a gagné des billets de cinéma pour le film Seven Pounds. Après la diffusion du film, on lui a demandé sa critique personnelle. Elle se souvient d’avoir eu un sentiment de malaise.

Manon Dumais, chef de la section cinéma au journal Voir, ajoute son grain de sel: «Il faut faire la part des choses. Il y a aussi des critiques amateurs pertinents qui pourraient être critiques professionnels.» D’ailleurs le journal Voir distribue des billets de spectacles à ses lecteurs depuis plusieurs années, admet-elle. Néanmoins, elle a l’impression que plusieurs membres du site Voir.ca disent tout aimer dans le but de s’assurer d’avoir d’autres billets. «Parfois leurs critiques sont superficielles et ça ne m’intéresse pas de les lire. Pourtant, les amateurs qui font une vraie analyse de l‘œuvre en question sont de bons compléments aux critiques traditionnelles.»

Censure et favoritisme

Donner des billets de faveur attire les bons compliments. Atuvu ne s’en cache pas: «Lorsqu’une personne a une critique négative de l’œuvre, elle a une certaine retenue à la communiquer.» Les commentaires sont également modérés avant publication: «quand nous recevons des propos qu’on ne juge pas constructifs, on ne les publie pas. On décide de la validité du commentaire et on donne une meilleure visibilité à certains membres.»

Pour ce qui est de la censure positive de certaines critiques Internet, elle n’est pas d’accord avec la façon de faire actuelle: «Si on me demande mon opinion et que par la suite, on ne la publie pas alors que d’autres opinions plus positives sont mises de l’avant, franchement c’est injuste. C’est la liberté d’expression qui est en jeu.»  La critique précise que tous les commentaires devraient être publiés à moins qu’il y ait des propos indécents, racistes, homophobes ou sexistes.

Pour jusitifier sa politique de censure, Atuvu.ca explique que pour accomplir sa mission promotionnelle de mettre en valeur les événements culturels, on mise sur la publication des critiques favorables aux œuvres. «Si on ne publie que les mauvais commentaires, les producteurs et distributeurs n’offriront plus de billets à des taux préférentiels», explique Simon Chamberland.

Opération séduction

Peut-on donner des billets à rabais aux spectateurs et espérer recevoir des critiques objectives? Didier Oti, professeur d’éthique journalistique à l’UQAM, n’y croit pas une seconde. «En donnant le billet, on se prive d’une critique neutre. On a acheté ces personnes qui se sentent redevables par la suite. Si on voulait des critiques qui ne sont pas orientées, on aurait pensé à une autre formule. C’est du PR cheap.»

Et les lecteurs se retrouvent-ils dans ce labyrinthe de critiques plus authentiques les unes que les autres? Il ne faut pas sous-estimer le public, d’après Manon Dumais. «À la fin de la journée, ce ne sont pas nous, les critiques, qui tuons un film ou qui y donnons vie. Les gens sont capables de lire entre les lignes et de se forger leur propre idée qu’ils peuvent alors exprimer.»

Accrédités ou pas?

Les critiques amateurs en ligne ne sont pas reconnus par l’Association québécoise des critiques de cinéma (AQCC). D’après le président de l’association, Élie Castiel, «l’AQCC n’accepte pas les critiques de monsieur madame tout le monde. C’est facile de faire une critique de cinéma mais pas forcément une bonne critique».

Cet organisme regroupe une quarantaine de personnes œuvrant dans le domaine de la critique cinématographique au Québec. Fondée en 1973 par des critiques professionnels, l’AQCC élabore les règles de déontologie professionnelle. Pour devenir membre, il faut avoir une bonne connaissance du cinéma, et avoir écrit au minimum six critiques par année.

Les membres de l’association possèdent une carte qui leur donne accès à des entrées gratuites dans les musées montréalais, ainsi qu’à plusieurs salles de cinéma tels que l’Ex-Centris, le cinéma Beaubien et l’Impérial.

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