L’union fait l’artiste

 Illustration: Pascaline Lefebvre

Fauchés, les artistes? Et comment! Plutôt que de baisser les bras, les créateurs montréalais retroussent leurs manches et exploitent le concept de la coopérative pour subvenir à leurs besoins.


Créer, ça coûte cher. En plus des matériaux, dont la valeur fluctue d’un médium à un autre, l’artiste doit assumer la location d’un lieu de travail approprié. «On est partagé entre les heures de travail rémunérées et la création artistique, ça demande beaucoup de temps. On ne peut pas travailler 40 heures par semaine en parallèle», confie l’artiste sans médium fixe Sophie Castonguay.

Selon des données publiées récemment par Statistique Canada, plus de la moitié des artistes ont un revenu annuel inférieur à 20 000 dollars et seulement huit pour cent déclarent vivre uniquement de leur art, sans préciser dans quelles conditions. Payer un second loyer pour un atelier adapté à leurs besoins devient dans ce contexte un vrai cauchemar. La solution? La coopérative d’artistes, inspirée des coopératives d’habitation.

Le principe? Un groupe de citoyens s’approprie collectivement un immeuble et en conserve la propriété, peu importe les changements au sein de ses membres. «L’hypothèque s’inscrit au nom du groupe qui se sépare les versements mensuels entre occupants de façon proportionnelle au revenu de chacun», précise Sophie Castonguay, aussi présidente du conseil d’administration (CA) de la coopérative Lezarts.

Le phénomène n’est pas nouveau: plusieurs artistes ont opté dans les dernières décennies pour la coopération comme façon de réduire les coûts de production, de diffusion, d’exposition et même de création de leurs œuvres, et ce, partout à travers le monde.

Les coopératives d’habitation pour artistes sont toutefois récentes. À Montréal, la première, Lezarts, a vu le jour en 2002. «Des entrepreneurs avaient un œil sur l’usine pour en faire des condos. Il a fallu faire vite pour que le projet de coopérative soit approuvé avant qu’il ne soit trop tard», raconte Sophie Castonguay, aussi présidente du conseil d’administration (CA) de Lezarts. Trente-trois logements à loyer flexible ont depuis été construits dans cet ancien bâtiment industriel, puis alloués aux artistes en arts visuels.

Chez Lezarts, contrairement au processus de sélection habituellement en vigueur dans les coopératives d’habitation, une entrevue de sélection est accordée uniquement si le cadidat à un dossier artistique béton. Question de survie du concept, explique la présidente du CA. «Le sérieux des membres dans leur art est indispensable, sans quoi, dans dix ans, nous ne pourrons même plus parler de coopérative d’artistes.» La grande majorité des membres ont d’ailleurs complété des études supérieures liées à leur médium, un précieux atout au moment de la sélection.


Une scie ronde dans la cour

Machinerie lourde, scies mécaniques, produits chimiques, feu et poussière de verre: l’atelier d’artiste peut parfois prendre des airs de quartier industriel. En dehors du stéréotype de l’artiste silencieux, pinceau à la main aux petites heures du matin, les créateurs contemporains nécessitent souvent des installations spéciales – fourneaux, ventilation adéquate, plafonds très hauts. Créer depuis leur domicile s’avère alors presque impossible. Dans l’enceinte même de la coopérative Lezarts, les artistes ne peuvent d’ailleurs pas utiliser de la machinerie industrielle ou des matériaux dangereux.

C’est pourquoi certains préfèrent le concept de coopérative-atelier. Les artistes ont avant tout besoin de lieux de création adéquats, soutient Louis-Georges Vanier, directeur du groupe Sauvons l’usine, un regroupement de créateurs ayant tenté de s’approprier un ancien complexe de la compagnie Grover pour en faire une coopérative, sans succès. «Le zonage industriel de l’atelier est indispensable pour véritablement répondre aux besoins des artistes.» L’art ne se limite pas à la peinture: certains travaillent le bois ou les métaux et ils en font parfois d’immenses structures. La machinerie qu’ils utilisent peut nécessiter l’usage d’un monte-charge, sans parler du bruit lié à l’utilisation de cet équipement. «Avoir un menuisier dans le rush comme voisin n’est pas toujours de tout repos», résume Louis-Georges Vanier. Les vapeurs toxiques qui émanent des produits qu’utilisent les artistes génèrent également leur part de préoccupations. C’est une coopérative-atelier adaptée à ces exigences que le groupe Sauvons l’usine tentait d’obtenir.

Louis-Georges Vanier est très déçu de l’échec du groupe Savons l’usine. Il déplore la lenteur de la Ville de Montréal et du gouvernement québécois à réagir. «Les coopératives artistiques sont bien implantées dans les villes de Toronto et de Vancouver depuis longtemps, alors que Montréal se cantonne derrière son Quartier des spectacles – Place des Arts – pour justifier son désintérêt envers la situation précaire des artistes.»

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