La liberté par la contrainte

Photo: Courtoisie F. Yang, www.chromewaves.net 

 

Le second long-jeu d’Angil + Hiddntracks prend la musique sous toutes ses coutures pour la réinventer à sa façon. Montréal Campus a rencontré Angil, le personnage timide et passionné à l’origine de cette sortie surprenante.


Plusieurs heures n’auront pas suffi à cerner le personnage. Derrière un regard curieux et interrogatif, Mickaël Mottet demeure insaisissable. À l’image de son plus récent disque, il faudrait consacrer des jours et des jours au musicien pour en apprécier la profondeur.

De passage à Montréal pour la toute première fois la semaine dernière, le jeune Français qui prend le nom de scène d’Angil était accompagné de trois des Hiddntracks, ses collaborateurs de longue date. Complices et enjoués, ils ont répondu aux questions de Montréal Campus en s’échangeant la balle avec intérêt, références littéraires et musicales fusant de toutes parts. C’est qu’avec leur dernier disque, Ouliposaliva, ces dévoreurs de culture ont synthétisé jazz, chanson, pop et hip-hop pour les fusionner en un hybride personnel et surprenant. «En fait c’est un chef d’œuvre, annonce Flavien Girard, multi-instrumentiste et meilleur ami d’Angil. C’est un truc qui va être dur à dépasser maintenant.»

Aux yeux du principal intéressé, c’est sa portée émotionnelle qui rend Ouliposaliva si important. L’album ne comporte aucun accord en mi (E, en notation jazz) et aucune lettre «e» en offrande à son cousin Francis Bourganel, qui comme tous les saxophonistes redoute cette tonalité. «Francis a été une sorte de guide. Le décès de sa mère a remué bien des choses et a fait surgir chez moi l’urgence de lui adresser un hommage. Les moments comme celui-là sont vachement rassurants, mais ils font peur en même temps. Ils donnent l’impression qu’on n’aura peut-être plus rien à dire après.» Visiblement remué, le jeune homme dit avoir intégré le terme «saliva» dans le titre de l’album en référence à Francis. «Quand il joue, j’entends son souffle et la salive qui coule le long de la hanche, du bec et du cuivre. Sa façon particulière d’approcher l’instrument m’émeut.» Quant à l’«Oulipo», il fait référence à l’Ouvroir de Littérature Potentielle, un regroupement d’écrivains qui s’imposent des contraintes pour écrire. Le roman La disparition de Georges Perec, qui traite de la perte et ne contient aucun «e», a été une influence majeure dans le thème d’Ouliposaliva.

Comme les membres de l’Ouvroir de Littérature Potentielle, Mickaël Mottet compose souvent à partir de restrictions. Cette fois, il s’était promis de produire un album de jazz. «Cela se révèle dans les parties atonales, dans les détails inattendus.» Pour Angil et son collègue Flavien, le jazz est en quelque sorte l’apothéose de la chanson pop. «Selon nos analyses, la pop song parfaite est construite de répétitions décalées. En musique, celui qui correspond le mieux à cette définition est John Coltrane. C’est évidemment absurde et snob, mais c’est le but de nos réflexions. Notre autre conclusion récurrente est le hip-hop, qui est le recyclage parfait du jazz.»

 

 

Une question de collectivité
Les chansons d’Ouliposaliva ont été conçues autour d’un vieux piano désaccordé, sauvé de justesse d’un aller-simple vers le dépotoir. Les cuivres et les cordes s’y entrelacent dans une écriture glauque, orchestrale, mais éthérée, surplombée d’une voix à l’accent british fort et prétentieux. «La pop pour moi est un jeu, une mise en scène. Écrire en français aurait exigé que je sois très proche de moi-même alors que mon envie est de voyager. De plus, la petite musique interne de l’anglais, qui déjà est un langage hypra codé, limite le champ des possibles, chose qui me stimule énormément.» Initié à l’anglais dès son plus jeune âge, le traducteur de profession se dit obsédé par l’accent tonique. «De plus en plus, je me sens parolier avant d’être compositeur. En musique, j’en suis toujours à me dire que je compense pour ce que je ne sais pas. Au niveau des paroles, mon parcours fait que plus j’avance, plus je sais vers où je me dirige.»

Depuis son premier album en 2004, Angil n’existe qu’avec les Hiddntracks, ces quinze collaborateurs dispersés autour de la France et même en Angleterre. «J’ai toujours eu besoin de jouer autant avec des musiciens qui avaient appris de façon académique qu’avec des amis dont j’aime les idées.»

Au fil des concerts, ceux-ci se plaisent à brouiller les cartes en se présentant sous différents noms. Il y a Angil Was A Cat, par exemple, un projet avec les producteurs de King Kong Was A Cat, ou alors The John Venture, en partenariat avec le groupe électro B R OAD WAY. On entendra de plus en plus parler de Jerri, qui se compose de Mickaël et de Flavien ainsi que de membres du groupe Deschannel. L’an dernier, un autre de leurs projets, les Doo Doo Doo Tsi Tsi Taas, a repris l’album Wowee Zowee de Pavement. «J’adore changer de nom, car je considère que c’est un costume, explique Mickaël Mottet. Ça conditionne beaucoup de choses.»

En concert à Montréal, Angil + Hiddntracks ont servi une version beaucoup plus rock d’Ouliposaliva, mais surtout très marquée par le hip-hop abstrait du groupe Why? Mickaël Mottet se transformait encore une fois sous nos yeux, nous rappelant que même lorsqu’il se dévoile et se confie, il reste encore bien des mystères à percer.     


Bien avant que le débat sur le copyright soit mis à l’avant-plan par le film RiP: A Remix Manifesto, Mickaël Mottet refusait de s’enregistrer à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). Tous les disques du musicien sont marqués de la licence ouverte Creative Commons. Bien qu’en France la non-appartenance à la SACEM lui ferme certaines portes, Mickaël Mottet refuse de voir son art comme un objet mercantile, comme il l’explique en long et en large sur le site Froggy’s Delight. Par ailleurs, les abonnés à la liste de diffusion des fans d’Angil, la Hidden List, reçoivent chaque année un disque bonus de ses divers projets.


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