Persona non grata

J’aurais vraiment très très TRÈS envie de vous parler de l’éléphanteau rose qui a été photographié la semaine dernière au Botswana, en Afrique. Un petit albinos à trompe, tout rond, tout mignon. Une vision aussi improbable que pourrait l’être celle de Stephen Harper invitant de bon cœur un Britannique controversé à l’os à venir dénoncer l’implication canadienne en Afghanistan, surtout quand ce personnage appuie ouvertement le Hamas, le mouvement de résistance islamique actuellement au pouvoir en Palestine (et considéré comme un mouvement terroriste par le Canada).

 

Ce personnage controversé, c’est George Galloway. Beaucoup moins mignon qu’un éléphanteau rose, il est toutefois aussi unique en son genre que ce dernier. Exclu du Parti travailliste de Tony Blair en 2003 (il avait accusé à mots tout sauf couverts le premier ministre britannique et le président américain, George W. Bush, d’agir comme des «loups» en Irak), Galloway est maintenant le seul député élu du parti RESPECT The Unity Coalition au parlement britannique, un parti reconnu pour ses positions socialistes et ses partisans majoritairement musulmans.

Loin d’inspirer le respect (pardonnez le jeu de mot) au gouvernement canadien, George Galloway a été déclaré, le 20 mars dernier, persona non grata, une personne interdite de séjour au Canada. Après avoir fourni véhicules et fonds au Hamas, il prévoyait venir prononcer un discours contre la guerre en Afghanistan le 30 mars, mais le ministre de l’Immigration canadien, Jason Kenney, lui a refusé le visa. «Ottawa n’a pas l’intention de dérouler le tapis rouge pour un Cromwell de bazar qui se vante d’apporter un soutien financier au Hamas, une organisation terroriste interdite au Canada», a déclaré, incendiaire, le porte-parole du ministère, Alykhan Velshi.

Il n’en fallait pas plus pour déclencher la controverse, qui semble suivre Galloway comme un chien de poche. Le Nouveau Parti démocratique canadien a crié à la censure et au musellement de la liberté d’expression, pendant que l’équipe de Galloway qualifiait la décision canadienne d’«idiote, inexplicable» et d’un «affront à la bonne réputation du Canada».

C’est que le Canada n’aime pas se frotter aux personnages qui ont tendance à attiser les passions, surtout lorsque cela risquerait de mettre des bûches dans le poêle de la tension musulmane-juive, qui n’a besoin que d’une étincelle ces temps-ci pour se raviver. Sans approuver la comparaison avec Cromwell (homme politique anglais du XVIIe siècle ayant régné de façon despotique sur l’Angleterre et étant associé au massacre de nombreux Irlandais catholiques), force est d’avouer que la décision du gouvernement canadien n’est peut-être pas seulement due à une volonté de faire taire les opinions divergentes sur des questions impopulaires comme la guerre en Afghanistan ou le conflit israélo-palestinien.

Ce n’est effectivement pas la première fois qu’une personne est refusée de séjour au Canada. Grosso modo, pour être déclaré persona non grata, il faut avoir trempé dans la criminalité. Cela peut aller de la conduite en état d’ébriété au meurtre, en passant par l’appui financier et matériel à des forces terroristes considérées illégales au Canada, comme le Hamas. On avait ainsi refusé, en 2001, le séjour à l’altermondialiste français José Bové, craignant que ce dernier ne vienne envenimer les manifestations prévues lors du Sommet des Amériques en avril, à Québec. Galloway comme Bové, sans être eux-mêmes des dangers publics pour le Canada, peuvent être vus comme le pétard qui fera exploser le bidon d’essence latent. 

 
Excès de prudence gouvernementale? Peur des opinions divergentes devant un Parti libéral canadien de plus en plus fort dans les sondages? Obsession conservatrice pour le contrôle de l’information et de l’opinion publique? Soumission au lobby pro-israélien? Toutes ces hypothèses ont été soulevées par le député anglais George Galloway. Et tant que le ministre Kenney refusera de faire connaître les motifs exacts et complets de la décision canadienne à l’égard de l’homme politique, il sera permis d’en douter.

En attendant, le spécimen politique britannique devra demeurer de l’autre côté de l’Atlantique pour s’opposer à la présence des troupes canadiennes en Afghanistan et appuyer le Hamas. Peut-être l’adoption d’un éléphanteau albinos sensible aux rayons du soleil pourrait-elle augmenter son capital de sympathie?
Je vous l’ai dit, je voulais juste parler de l’éléphanteau rose.

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