Engagez-vous, qu’ils disaient

Quand Nathalie Petrowski dit quelque chose, bien souvent, on l’écoute. Ou du moins, ceux qui l’aiment le font. Qu’elle consacre sa chronique de mercredi dernier au sombre avenir du journalisme, et ce même s’il n’y avait là rien de nouveau sous le soleil, m’a  donc semblé un mauvais présage. Pour ma mère aussi, d’ailleurs. Elle m’a appelé en panique: «Nathalie Petrowski dit que vous n’avez pas d’avenir!». Ah. Dommage, moi qui comptais sur mon premier chèque de paye pour me construire un château en Espagne.


Cynisme à part, ma mère et moi-même savions déjà très bien quel genre de non-avenir attend les jeunes diplômés en journalisme avant que la chroniqueuse de la Presse ne nous en avise. Le budget réservé aux stages rémunérés, qui servent habituellement de porte d’entrée dans les médias de la métropole et des alentours, ont cette année fondu comme une peau de chagrin. Le stage de la salle des nouvelles de Radio-Canada, seul accès direct au bataillon journalistique de la télévision publique, a tout bonnement disparu. Engagez-vous, qu’ils disaient!

Nous sommes nombreux à perdre le sommeil et quelques cheveux à la perspective d’être catapultés dans ce monde médiatique ravagé par deux crises simultanées. L’intrinsèque d’abord, celle du contenu, du déclin des journaux imprimés et de l’essor d’Internet qui tarde à se concrétiser. L’extrinsèque ensuite, la crise avec un grand C, celle dont on parle abondamment dans les pages économiques de ces même médias qui se retrouvent la tête sur le billot.

Fermetures définitives des versions imprimées du Rocky Mountain News, fin février, puis du Seattle Post-Intelligencer mardi dernier. Coupures massives dans les effectifs: une baisse de 10% du personnel chez Sun Media, de la moitié pour le San Francisco Chronicle. Faillites successives de l’entreprise Tribune − qui possède entre autre le Chicago Tribune et le Los Angeles Times −, de Philadelphia Newspapers et de la Journal Register Compagny, propriétaire de quelque 200 publications et autant de sites d’information…
Nul besoin de l’œil avisé de Mme Petrowski pour réaliser que ça va très, très mal au royaume de la presse écrite. Que Florian Sauvageau et Jacques Godbout en remettent avec Derrière la toile, leur documentaire traitant de l’avenir du journalisme, confirme toutefois que cette fois, l’heure est grave et que le Québec n’échappe pas à la crise.

La situation est aussi précaire en foresterie, en finances, en génie, en littérature, on en convient. Ce qui rend toutefois la crise journalistique aussi anxiogène, c’est l’incertitude. Personne ne sait si le journalisme tel qu’il évoluera dans les prochaines années vaut la peine qu’on se batte pour lui. Ou du moins, s’il correspondra toujours aux critères qui ont attiré vers le métier la centaine de jeunes diplômés qui devront bientôt faire leur place dans ce marché en mutation.

Peu importe comment évoluera le cadre formel du journalisme, nous nous y adapterons… tant que la qualité du contenu demeure au centre de la pratique. En entrevue avec le quotidien Le Monde, le fondateur de l’éditeur français Prisma Presse, Axel Khan, demeurait pour sa part positif. «La presse écrite doit évoluer vers le haut, proposer des enquêtes, des reportages, des choses qu’on ne trouve pas ailleurs. On va vers une plus grande qualité. Le consommateur est mieux informé, donc plus exigeant», a déclaré Axel Khan en entrevue avec le quotidien français Le Monde.

J’ai choisi de le croire, question d’assurer mon équilibre mental. Toute cette belle probité journalistique – il ne manque pas, dans les rangs des futurs gradués, d’idéalistes attirés vers le métier par l’image chevaleresque des René Lévesque, Henri Bourassa et autres canons journalistiques de la vieille école – risque toutefois d’aller grossir les rangs d’autres professions moins troublées si la crise s’éternise. Où s’inscrit-on pour devenir relationniste, déjà?

culture.campus@uqam.ca

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