Qui trouve garde

Objets perdus à Montréal

Que ce soit un parapluie, une mitaine ou un dentier, tout le monde a déjà égaré quelque chose dans un lieu public. Où donc atterrissent ces articles orphelins? Voyage au paradis des objets perdus.

 
Photo Jean-François Hamelin

La salle n’est ni poussiéreuse, ni mystérieuse et on s’y sent plutôt à l’étroit. Pourtant, telle une caverne de conte de fées, elle recèle les trésors oubliés à l’Université. Au milieu des centaines de babioles entassées pêle-mêle sur les étagères, veille Valérie Lavoie, la gardienne de sécurité responsable de la gestion des objets égarés sur le campus de l’UQAM.
Elle a accumulé son butin au fil des ans grâce à ses collègues. «Les objets perdus entreposés ici ont pour la plupart été ramassés par les gardiens de sécurité et les concierges lors de rondes matinales dans divers endroits de l’UQAM. L’année dernière, nous en avons recensés près de 8 000.»
Une fois catalogués dans le système informatique et numérotés, les biens trouvés sont mis dans une enveloppe, puis triés sur les tablettes. «Les objets sont classés selon leur description physique. On met le plus de détails possible pour raffiner la recherche. Par exemple, un coffre à crayon rouge de marque untel», expose Valérie Lavoie. Les objets de valeur, tels les portefeuilles, pièces d’identité ou cellulaires, sont gardés dans des casiers barrés et demeurent sous surveillance électronique, indique la gardienne.
Même s’ils sont soigneusement identifiés, seuls quelques élus quittent les tablettes de l’oubli pour retrouver leur foyer. Le Service de la prévention et de la sécurité estime qu’un objet perdu sur dix est réclamé par son propriétaire. Et le nombre d’articles récupérés par le comptoir d’objets perdus par rapport à tous ceux égarés à l’Université serait encore plus infime, croit Valérie Lavoie. Lorsqu’un effet personnel est laissé à lui-même, se l’approprier n’est pas considéré comme un crime, explique l’agente. «Dans le code civil, il est précisé que si l’on trouve un objet, on n’a aucune obligation légale de le rapporter aux autorités.»
Si plusieurs propriétaires abandonnent un objet égaré, d’autres entament une quête désespérée pour retrouver ce qu’ils ont perdu. «Les gens réclament généralement les objets qui ont une valeur sentimentale pour eux. Certains reviennent plusieurs fois dans l’espoir que nous ayons retrouvé un objet auquel ils tiennent», note la gardienne de sécurité.
 
Finir ses vieux jours
Derrière la vitrine du comptoir de service de la Société de transport de Montréal (STM), station Berri-UQAM, deux téléphonistes s’affairent au milieu des sonneries incessantes. Ils rassurent les clients inquiets et, surtout, ils tentent de les réunir à l’objet chéri. Des disparitions tragiques qui finissent bien, Michel Daigneault en a vu plus d’une. Le chef du service à la clientèle de la STM a été témoin de nombreuses retrouvailles émotives entre un client et un objet cher à son cœur. «Si vous saviez le nombre d’heureux qu’on a faits depuis que ce comptoir a été instauré!»
Malheureusement, le séjour au paradis des objets perdus est de courte durée. «Tout ce qui est trouvé dans les services de transport en commun est gardé seulement trois semaines», précise Michel Daigneault. La politique est semblable à l’UQAM, qui les conserve pendant deux mois.
Toutefois, les articles qui dépassent la date d’échéance peuvent encore aspirer à une vie meilleure dans les bras d’un nouveau propriétaire. «Après 60 jours, les objets perdus non réclamés sont envoyés à divers organismes de charité. Par exemple, les vélos retrouvés autour de l’UQAM sont réutilisés par l’organisme SOS Vélos», explique Valérie Lavoie. À la STM, les effets qui restent orphelins sont empaquetés et expédiés à l’Accueil Bonneau. «On reçoit environ dix grandes boîtes pleines par mois de la STM», confirme Christian Gravel, responsable du vestiaire de l’organisme. Ces envois représentent près de 10% des dons matériels recueillis par le refuge pour itinérants. Les objets reçus sont inédits et remplissent des besoins précis, croit Christian Gravel. «Certains sont introuvables ailleurs, comme des lunettes, des portefeuilles, etc.»
Plusieurs autres établissements donnent leurs objets perdus à l’organisme de charité. «Nous recevons également des dons du Casino de Montréal, de l’École de technologie supérieure, de bars comme les Foufounes Électriques et de nombreux hôtels. J’en ai aussi de la part de compagnies aériennes à l’occasion», énumère-t-il.
 
 
Perdre la tête
Au fil des années, la STM a retrouvé plusieurs objets pour le moins étranges dans les wagons et les autobus de la ville. Dentiers, crânes, pièces d’ordinateur, marchettes, rien ne surprend plus Michel Daigneault. «On a même des miraculés dans le métro!» blague-t-il en désignant une série de cannes accrochées au mur. Au moment de son passage, Montréal Campus a pu admirer un gigantesque tableau illuminé des chutes Niagara trouvé la veille dans le métro.
Les comptoirs de service s’entendent pour dire que les objets qu’ils trouvent varient selon les saisons. «En hiver, nous trouvons beaucoup plus de vêtements de toutes sortes comme des tuques, des mitaines et des manteaux. L’été, c’est la saison des parapluies», précise en souriant Valérie Lavoie.
Même si le service d’objets perdus est charitable, certains articles se voient fermer la porte au nez. «Certaines choses trouvées à l’UQAM ne sont pas acceptées, comme les tupperwares contenant des lunchs ou encore les vêtements de sans-abris. Ils peuvent être contaminés, infestés de punaises ou d’insectes. Nous préférons en disposer directement.»
Michel Daigneault rappelle pour sa part que les comptoirs d’objets perdus sont d’abord une courtoisie. «Il faut comprendre que la STM n’a aucun avantage pécuniaire à maintenir ce service. C’est purement par civisme qu’on l’offre.» Selon lui, les Montréalais distraits sont bien chanceux de bénéficier de ces employés qui veillent au grain. «Le lost and found est une notion très américaine, ce ne sont pas toutes les villes qui tiennent ce service. Dans le métro de Londres, les objets oubliés sont tout simplement jetés aux ordures.»

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