L’art vidéographique ne fait pas son cinéma. L’histoire linéaire, les règles cinématographiques et le maïs soufflé lui vont très mal: il préfère l’éclatement de l’image, sa déconstruction, son renouvellement perpétuel. Un art inventif et insoumis, qui se crée tranquillement une place dans le paysage artistique québécois.
Les poètes mordent dans les mots, les danseurs dans la musique, les peintres dans la couleur et les sculpteurs dans la matière. Pour les vidéastes d’art, ce sont les technologies de l’information qui nourrissent leur création. Arrivé au Québec dans les années 1970, l’art vidéographique a d’abord été associé à l’activisme social, puis à des thèmes plus personnels. La liberté offerte aux artistes vidéo, critère essentiel du médium, est toutefois demeurée la même. «Les artistes doivent repenser ou déconstruire les standards cinématographiques actuels pour proposer quelque chose d’original, d’inusité. C’est un travail d’exploration», explique Guillaume Potvin, qui parraine l’Évènement interuniversitaire de création vidéo (EICV), un concours annuel organisé depuis 1990 par des étudiants de l’UQAM. Le type d’œuvres présentées dans le cadre de l’EICV n’a effectivement rien à voir avec la production hollywoodienne moyenne. Parmi les expériences proposées l’année dernière, une concourante a par exemple exhibé les images filmées par une caméra flottante, suspendue à une corde et relayée de passant à passant dans les rues de Montréal.
Jean-François Côté, directeur artistique de la Bande Vidéo, un organisme sans but lucratif installé à Québec depuis 1977 et consacré à la création et à la recherche en arts médiatiques, remarque pour sa part que le vidéo d’art est inévitablement orientée par le langage cinématographique. «Il y a une grande influence du cinéma dans notre manière de faire, dans l’outillage, dans la construction du mouvement. Par contre, la recherche et les questionnements sur le médium sont sans cesse renouvelés. Il y a aussi une exploration constante de la narration. Et l’art vidéographique n’obéit pas à la notion de début et de fin.»
Public confidentiel
Contrairement au cinéma, l’art vidéo ne prend pas l’affiche dans des salles grand public, mais des évènements ponctuels offrent aux créateurs de sortir de l’anonymat. Chaque année, depuis 1990, l’EICV permet ainsi aux artistes de présenter leur vidéo devant public et, pour les vainqueurs dans les sept catégories en lice, de se partager 6000 dollars en prix. Sur une centaine de vidéos reçus à chaque année, environ le quart sont admises à la compétition, dont la 18e édition aura lieu les 28 et 29 mars prochain au Gesù.
Depuis la naissance de l’évènement, les moyens techniques ont considérablement métamorphosé les œuvres qui y sont présentées, constate Guillaume Potvin. «Dans les premières années, les créateurs ont principalement exploré les différentes facettes du montage: le mixage, les effets, la texture. Plus récemment, la vidéo-performance, durant laquelle le vidéaste est son propre sujet, a été très populaire. Cette année, on s’attend à ce que plusieurs créateurs travaillent avec le projecteur et des ambiances extérieures à l’image filmée. Mais libre à chacun de créer selon sa volonté.»
Pour les créateurs de la relève, l’EICV est une expérience appréciable à ajouter leur curriculum vitæ. «L’évènement gagne chaque année en crédibilité et les gens du milieu reconnaissent sa notoriété, remarque Guillaume Potvin, lui-même ancien étudiant en arts visuels à l’UQAM. C’est une occasion de diffuser devant un jury composé d’acteurs importants du milieu.» L’artiste pluridisciplinaire Sylvie Laliberté et la journaliste du Devoir Marie-Ève Charron ont entre autres déjà fait partie du jury, généralement composé d’un théoricien, d’un praticien et d’un critique du milieu.
L’art de survivre
Même s’ils ont du talent à revendre, très peu d’artistes de l’image peuvent espérer vivre de leurs créations. Pas de Guylaine Tremblay ou de Patrick Huard chez les vidéastes d’art, donc. «Même quand un créateur réussit à vendre quelques œuvres par année, il y a souvent trois, voire quatre intermédiaires qui grugent ses profits, explique Guillaume Potvin. L’artiste ne retire souvent que 20% de la valeur réelle de sa production.»
Le problème de rentabilité provient aussi du fait que les arts visuels québécois n’attirent pas autant les investisseurs privés qu’ils le font à New York ou à Londres. Quelques centres de recherche et de création comme la Bande Vidéo dans la Vieille Capitale offrent du financement, des outils de production, de diffusion et de promotion aux artistes du vidéo. Destinés à combler les besoins du milieu, ces laboratoires artistiques vivent généralement des subventions de plus d’une dizaine d’organismes municipaux, provinciaux et fédéraux. Des centres d’artistes autogérés permettent quant à eux d’héberger et de financer des vidéastes dont les dossiers sont sélectionnés, sans pour autant assurer leur viabilité financière à long terme. «Il y a moyen de travailler dans le domaine des arts visuels et de continuer à créer, assure l’artiste et directeur artistique Jean-François Côté. La Bande Vidéo est membre de la coopérative artistique Méduse avec neuf autres organismes. En tout, la coopérative de diffuseurs et de producteurs emploie 80 personnes. À Montréal, il y a des jobs intéressants, par exemple à la Cinémathèque.»
Guillaume Potvin, lui-même vidéaste, doit travailler dans un bar pour gagner son pain. Mais s’il met parfois la création en veilleuse, l’art ne sort jamais de sa vie. «Tout ce que les artistes entreprennent parallèlement à l’art, d’une façon ou d’une autre, viendra nourrir leur création.»
Laisser un commentaire