La justice à rabais

Des recours collectifs réglés en échange de coupons

Illustration Philippe McDuff

Des entreprises poursuivies par recours collectif perdent leur cause devant les tribunaux. Leur punition? Remettre des coupons rabais de leurs produits aux consommateurs lésés. Une décision du tribunal qui vaut de l’or pour les commerçants fautifs.

 

Les accusations se suivent et se ressemblent pour Meubles Léon, dont les clients ont pour la seconde fois formé un recours collectif en accusant l’entreprise de facturer des frais illégaux. En 2005, pareille bataille s’était soldée par la condamnation de Meubles Léon à offrir aux 5666 membres du recours un coupon rabais de 100 dollars ou un chèque de 38$.

Devant la réparation qui a été offerte aux précédents demandeurs, la représentante du recours actuel, Nathalie St-Pierre, s’inquiète de la compensation que son groupe obtiendra. Son opinion sur la compagnie est claire et elle n’hésite pas à clamer avec force sa position sur le sujet. «Il n’est pas question que j’aie à nouveau affaire avec Meubles Léon. Moi c’est mon argent que je veux et je n’accepterai aucun coupon rabais!»

Pour les entreprises, être condamné à offrir des rabais serait en fait doublement avantageux. «Les coupons ramènent des clients lésés qui auraient autrement été perdus et le processus est moins dispendieux», note la responsable du service juridique chez Option consommateur, Stéphanie Poulin.

L’économie faite par les entreprises est notamment due à la faible utilisation des coupons rabais par les personnes lésées. Selon une étude américaine portant sur dix règlements coupons effectués en 1976 et 1986, seulement 13% des coupons rabais émis reviennent en moyenne dans l’entreprise. Dans certains cas, le taux de retour ne dépassait pas 3%.

Ces avantages pour les entreprises rendent caduques les sentences infligées par les tribunaux, croit l’avocate Stéphanie Poulin, qui s’intéresse au phénomène depuis quelques années. «Un des principaux problèmes avec les coupons rabais est que le tort causé et la réparation offerte aux plaignants ne s’équivalent pas. La valeur du coupon est souvent surévaluée par rapport aux bénéfices qu’il procure.»

Cela n’empêche pas pour autant certains avocats de faire pression sur leurs clients pour accepter les coupons, croit la directrice du Fonds d’aide aux recours collectifs, Louise Ducharme. Elle estime que ces règlements sont des «solutions à rabais, adoptées par les avocats qui sont intéressés à clore les dossiers plus vite et à moindres frais.» Et bien que le phénomène des coupons soit récent au Québec, Louise Ducharme craint qu’il ne devienne un véritable fléau.

Des punitions caritatives
Robert Chartier était le représentant des membres du premier recours collectif intenté contre Meubles Léon, en 2005. Ayant pour sa part opté pour l’argent comptant, il estime tout de même que les membres du recours ont choisi une bonne option en acceptant le règlement offert. «C’est sûr qu’au début on pensait obtenir beaucoup plus, environ 300 dollars par personne. Mais ça faisait trois ans que les procédures traînaient et qu’il ne se passait rien. Ce qui m’a vraiment décidé à accepter, c’est lorsque j’ai su que la compagnie devrait verser des dons importants à des organismes de charité. Là j’ai trouvé qu’elle avait sa punition.»

Si un règlement coupon est approuvé par le tribunal a décidé que c’était un moyen adéquat de compenser les membres du groupe, signale maître Benoît Marion de chez Sylvestre Fafard Painchaud Avocats, une importante firme montréalaise dans le domaine des recours collectifs. «Si l’offre était déraisonnable, le juge refuserait», affirme Benoît Marion.

L’avocat poursuit en abordant la question des petites entreprises. «Il faut avoir les reins solides pour pouvoir dédommager tous les membres d’un recours collectif. Les règlements coupons peuvent être profitables aux entreprises ayant un chiffre d’affaires peu élevé afin qu’elles ne soient pas obligées de fermer leurs portes à cause d’un recours.»

Stéphanie Poulin admet que le versement d’indemnités en argent, avec tous les frais additionnels que cela engendre, peut être le dernier clou dans le cercueil d’une petite compagnie. «Dans ce cas, on peut penser à offrir un règlement équivalent qui peut se traduire par un don à un organisme de charité connexe, par exemple. Les rabais ne sont pas les sentences les plus appropriés.»

Un récidiviste plein aux as
En apprenant qu’il y avait un autre recours collectif intenté contre Meubles Léon pour des frais de financement chargés indûment, Robert Chartier s’est dit très surpris, voire déçu, de constater que l’entreprise avait récidivé malgré un précédent procès. «Je ne pensais vraiment pas que ça reviendrait. Alors, ça doit être qu’ils n’ont pas assez payé. J’en déduis que le règlement qu’ils ont conclu avec nous ne leur a pas coûté assez cher pour les empêcher de recommencer», dit-il, déconcerté. 

Le Barreau du Québec a refusé d’émettre tout commentaire et Meubles Léon n’a pas retourné les appels de Montréal Campus.


L’exclusion par le coupon

Les règlements coupons peuvent engendrer une exclusion systématique des personnes plus pauvres ou endettées. À titre d’exemple, dans un recours intenté contre General Motors (GM) au début des années 1990, des coupons rabais de 1000 dollars ont été offerts aux membres. Compte tenu du coût des véhicules GM oscillant entre 11 000 et 33 000$ et de l’impossibilité de céder le coupon à un tiers sans qu’il ne perde la moitié de sa valeur, les personnes à faible revenus ont été automatiquement exclues.  (491 caractères)

 

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