Depuis samedi dernier, les 253 employés du Journal de Montréal ont une nouvelle salle de rédaction: la rue. Quebecor, incapable de s’entendre avec le syndicat du quotidien sur la nouvelle convention collective, a finalement tenu parole et décrété un lock-out. Les abonnés du tabloïd montréalais recevront malgré tout une copie chaque matin.
Ce conflit de travail au journal de la rue Frontenac – le premier depuis sa fondation en 1964 – pourrait être long. Le président Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal (STIJM), Raynald Leblanc, est prêt à «faire la guerre», tandis que Pierre Karl Péladeau, l’héritier de l’empire Quebecor, s’est taillé une triste réputation en matière de négociation avec 13 lock-out en tout autant d’années. Le dernier en liste, au Journal de Québec, a duré pas moins de 14 mois.
Le combat est cependant déloyal. Les cadres du quotidien n’auront pas à se surmener, comme c’est habituellement le cas lors d’un lock-out, pour remplir les tâches de leurs employés. Afin de remplir les pages du Journal, ils n’auront qu’à prendre les textes de diverses agences de presse, dont l’obscure QMI, une entité que Quebecor a créée, ô coïncidence, à la fin de l’an 2008. Cette dernière rassemble tout le matériel produit par les différents médias du groupe, tels Canoë et 24 heures Montréal.
Une pratique douteuse qui n’est pas sans rappeler l’agence Nomade, mise sur pied pendant le conflit au Journal de Québec. Selon un jugement de la Commission des relations du travail en décembre dernier, les journalistes de cette agence ont été utilisés comme briseurs de grève pendant le lock-out. Quebecor a porté la décision en appel.
Plus de convergence
Au-delà des employés du Journal de Montréal, la grande perdante dans cette bataille est la qualité de l’information. À court terme, les 500 000 lecteurs du quotidien montréalais observeront une détérioration du contenu. Pendant le conflit, les enquêtes spectaculaires disparaîtront et certaines nouvelles seront même oubliées – lors du lock-out dans la capitale, le Journal n’a pas couvert l’incendie du Manège militaire de Québec le lendemain de la tragédie.
Mais c’est à long terme que les dommages pourraient être les plus néfastes. Au cœur du conflit se trouve la volonté de Quebecor de pouvoir réutiliser le contenu du Journal de Montréal dans ses autres médias et vice versa afin d’économiser sur la main-d’œuvre. Si le syndicat perd sur ce point, ce serait un triste jour pour le journalisme québécois.
Le recyclage a beau être bon pour l’environnement, c’est un vice lorsqu’il est appliqué au produit journalistique. La libre circulation des textes dans le royaume de Pierre Karl Péladeau diminuerait la diversité de l’information, une denrée essentielle à toute démocratie.
Hélas, le dirigeant de Quebecor semble faire tout ce qui est en son pouvoir pour emprunter cette voie. Depuis quelque temps, l’hebdomadaire Ici et TVA publication – qui regroupe vingt magazines, tels 7 jours, Clin d’œil et Le Lundi – demandent à leurs pigistes de renoncer par contrat à leurs droits d’auteur sur la totalité de leurs œuvres. L’Association des journalistes indépendants du Québec dénonce cette pratique et la qualifie d’abusive.
Du respect SVP!
Dans son édition du lundi 26 janvier, le Journal de Montréal publiait une lettre de Pierre Karl Péladeau où l’homme d’affaires justifie le lock-out en invoquant la «crise mondiale» traversée par la presse écrite. Selon lui, son quotidien doit s’adapter aux nouvelles technologies s’il veut survivre.
Les journaux doivent en effet revoir leurs façons de faire pour traverser les difficultés actuelles, mais le changement doit s’effectuer dans le respect des salariés et du public. Le désaccord sur les conditions de travail des employés du Journal de Montréal – les meilleures de l’industrie – ne concernent que le syndicat et la partie patronale, mais le droit à une information de qualité touche l’ensemble des Québécois. C’est pourquoi Montréal Campus donne son appui aux artisans en lock-out du Journal de Montréal et l’équipe de rédaction invite l’ensemble de ses lecteurs à faire de même.
Vous pouvez suivre les employés en lock-out du Journal de Montréal au www.ruefrontenac.com
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