Entre Cloaca et Obama

À moins d’avoir immigré en Antarctique dans les dernières semaines, ou d’avoir été mis en quarantaine pour cause de virus récalcitrant, il est difficile de ne pas avoir été en contact avec l’«obamanie» qui s’est emparée du monde médiatique. Lundi: Obama promet de se pencher sur le cas de Guantanamo. Mardi: Obama choisit la cravate qu’il mettra pour son investiture. Mercredi: La cousine de la fesse gauche de la femme qui a connu le grand-père d’Obama se confie à cœur ouvert… Rien d’étonnant ou d’illégitime dans cet engouement international pour l’entrée en fonction du premier président noir chez nos voisins du Sud.


Au même moment, un autre mouvement qui m’a en toute subjectivité beaucoup plus intéressé naissait dans la section «Arts et Spectacles» de votre quotidien préféré. «L’UQAM se paie une machine à caca», lisait-on dans le Journal de Montréal le 14 janvier. «Wim Delvoye: Merde alors!» titrait plutôt La Presse en une de son cahier artistique. Tout plein d’articles, déclinant avec bonheur les multiples synonymes du numéro deux. Ce n’est pas tant la joie manifeste avec laquelle les médias montréalais ont utilisé les mots «caca» ou «merde» qui m’a impressionnée, que le fait que l’on consacre un tel espace médiatique à la Galerie de l’UQAM et, par le fait même, à l’art visuel contemporain. Un sujet pas mal moins sexy, du moins en apparence, que l’investiture d’Obama.

Mais Wim Delvoye, comme l’explique dans son article ma collègue Valérie Ouellet, n’est pas né de la dernière pluie. Dans le monde hermétique de l’art visuel, le Flamand est l’une des rares têtes d’affiches parvenant à rallier critiques et grand public. Les passages non seulement de ses machines Cloaca, mais aussi de ses autres œuvres thématiques – cochons vivants tatoués, étranges vitraux faits d’éclats de radiographies humaines ou rigolotes maisons d’oiseau déguisées façon sado-maso – passent rarement inaperçues, peu importe leur ville d’accueil.

L’artiste est sympathique, il a de l’humour. Et surtout, il soulève le questionnement et l’intérêt. Une machine inesthétique, dont la finalité est de produire de «vraies fausses défécations», est-elle une œuvre d’art? La faire venir à grands frais − 30 000 dollars en bourse du Conseil des arts, en plus des frais d’entretien assuré par des techniciens des «Studios Delvoye» et le coût des enzymes digestives de Cloaca − était-elle une bonne décision de la part d’une UQAM se remettant à peine de ses déboires financiers?

La polémique, dans le cas de Delvoye, n’est qu’une voie de diffusion supplémentaire pour son message artistique, une façon de s’assurer l’attention d’un plus large public. La Galerie de l’UQAM en était consciente lorsqu’elle a invité l’artiste et sa créature, comme en font foi les multiples communiqués émis par la salle d’exposition en prévision de leur venue.

On y mentionne abondamment l’aspect controversé de Delvoye et son œuvre, avec une certaine fierté. Et pour cause. Que l’on apprécie ou pas le travail derrière Cloaca, le fait que la Galerie de l’UQAM soit une institution assez prestigieuse pour recevoir un des plus grands artistes du moment – qui s’est même, fait assez exceptionnel pour l’artiste prolifique, déplacé pour présenter l’exposition – doit être salué. L’an dernier, la Galerie avait eu l’insigne honneur de se voir représentée par l’artiste David Altmejd à la Biennale de Venise, une des plus prestigieuses expositions internationales d’art contemporain, en plus de recevoir Erwin Wurm, artiste autrichien de renom.

La venue de Cloaca dans ses murs confirme à la fois la pertinence et l’importance de cet espace d’exposition encore méconnu et trop souvent sous-estimé qu’est la Galerie de l’UQAM. Du même coup, elle lui a donné une visibilité médiatique qui est peut-être loin de celle d’Obama, mais qui, en art contemporain, fait figure d’exception.
Alors, qui a dit que Cloaca n’était qu’une vulgaire machine à caca?

 culture.campus@uqam.ca

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