Un big-bang dans les musées

Illustration: Marc Larivière

Ils sont souvent brisés, rapidement dépassés, toujours provisoires. Les objets technologiques ne font que passer dans notre quotidien. L’art, lui, doit traverser le temps. Entre culture de la consommation et culture de la pérennité, les œuvres à composantes technologiques causent bien des soucis au personnel des musées.


Pendant des siècles, les artistes et les conservateurs de musée ont travaillé avec une variété restreinte de matériaux. Né en 1960 avec l’art vidéo, l’art technologique fait aujourd’hui éclater tous ces repères. Hétéroclites et en constante évolution, les pratiques artistiques qui exploitent les technologies engendrent des problèmes techniques, juridiques et éthiques qui forcent les institutions muséales à réinventer leur savoir-faire.

«Dès qu’une œuvre ne peut être vue directement parce qu’elle nécessite un projecteur, un lecteur ou un ordinateur, les problèmes commencent», affirme l’archiviste des collections du Musée d’art contemporain de Montréal (MAC), Anne-Marie Zeppetelli. Sur les 7 500 pièces que possède le musée, seulement 150 créations répondent à cette description. Néanmoins, cette petite minorité accapare 50% du temps et des efforts des spécialistes de l’établissement.

                                                                                                                          
Un casse-tête à grande échelle

Les œuvres technologiques, à l’instar de leurs composantes, se dégradent rapidement. En moyenne, elles doivent être restaurées tous les dix ans. L’opération est complexe et en général, dispendieuse.

Remplacer une pièce défectueuse relève souvent du défi. La technologie évolue très rapidement et il n’est pas rare qu’une composante facile à se procurer au moment de la création devienne impossible à trouver après quelques années. «Dans certains cas, on doit changer le support et le lecteur. Pour d’autres, il faut migrer des logiciels et trouver des équivalents. Il arrive aussi qu’il soit impossible de restaurer une œuvre», admet Anne-Marie Zeppetelli.

Pour permettre aux créations à composantes technologiques de traverser le temps, les restaurateurs sont souvent obligés de les modifier. Une pratique qui remet en question l’idéologie de la conservation. «Traditionnellement, un conservateur cherche à préserver l’aspect physique d’une œuvre», explique le directeur du Centre de recherche et de documentation de la fondation Daniel Langlois, Alain Depocas. «Avec les créations technologiques, on cherche avant tout à conserver les effets d’une œuvre et son comportement, la façon dont son dispositif réagit.»

D’un point de vue légal, les artistes conservent un droit moral sur leurs créations. Les musées ont donc l’obligation d’obtenir leur accord avant de modifier les oeuvres. Ils doivent également s’assurer que les changements apportés respectent l’intention initiale de l’artiste. «Jusqu’à maintenant, tout le monde collabore de bon gré, mais à chaque fois, il faut négocier», soutient Anne-Marie Zeppetelli.

L’artiste Alexandre Castonguay et l’ingénieur en arts interactifs Mathieu Bouchard sont régulièrement appelés à intervenir sur les oeuvres qu’ils ont déjà vendues. «Il y a beaucoup de gens en arts qui ne sont pas assez informés sur les nouvelles technologies. Ils hésitent à les réparer eux-mêmes parce qu’ils ont peur de faire des erreurs et d’être pris avec un problème encore plus gros», affirme Mathieu Bouchard.

 

Techno nuls, les musées?

Alain Depocas partage cet avis. Selon le chercheur, les responsables des musées n’ont pas les compétences et les connaissances nécessaires pour gérer les spécificités des œuvres technologiques. «Les conservateurs maîtrisent la chimie et la physique, ce qui leur permet de restaurer la très grande majorité des peintures et des sculptures. Les œuvres technologiques, elles, nécessitent également des compétences en informatique, en électronique et en analyse.»

Au Canada, l’Université Kingston est le seul établissement qui offre un programme d’études supérieures entièrement dédié à la conservation. Malgré la récente multiplication des œuvres à composantes technologiques, l’institution ne propose aucun cours spécialisé en la matière.

C’est pour combler ces lacunes que la fondation Daniel Langlois a mis en place le projet DOCAM il y a quatre ans. Financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le projet réunit des chercheurs oeuvrant dans différents domaines. En tout, une vingtaine d’organismes gouvernementaux, de musées, de départements universitaires et de centres de documentation provenant de cinq pays différents participent à ce projet innovateur.

Sous la direction d’Alain Depocas, le regroupement organise chaque année un sommet et un séminaire pour sensibiliser la communauté artistique aux enjeux de la conservation et de l’archivage des oeuvres technologiques. «DOCAM nous a permis de réfléchir à ces problématiques. Nous ne serions pas rendus là si nous n’avions pas eu la chance de participer à ce projet», affirme Anne-Marie Zeppetelli.

Et après?

En janvier, le projet DOCAM entamera sa dernière année d’existence. À l’issue de celle-ci, l’alliance de recherche publiera des guides de bonnes pratiques en catalogage et en conservation des arts technologiques, en plus d’un glossaire et d’un répertoire des ressources. Ces outils seront diffusés gratuitement et pourront être utilisés par les 200 organisations canadiennes qui exposent des oeuvres d’art technologiques.

Alain Depocas souhaite que le projet se poursuive au-delà de 2009. «Nous avons commencé à travailler avec les musées parce que ce sont eux qui possèdent les oeuvres les plus anciennes et qui ont le mandat de les conserver. Un DOCAM II se pencherait davantage vers les centres d’artistes et les artistes eux-mêmes.»

Selon le directeur de résidences de la Société des arts technologiques (SAT), Joseph Lefèvre, les artistes sont directement touchés par ces problématiques. «La plupart du temps, il appartient aux créateurs de veiller à la conservation de leurs œuvres. Mais comme bien souvent ils ont déjà de la difficulté à vivre de leur art, ils n’ont pas les moyens de les maintenir en état.»

La meilleure façon d’assurer la survie d’une œuvre demeure encore de la vendre à un musée. Le MAC, lui, est prêt à assumer les problèmes qui viennent avec les œuvres technologiques. «Pour nous, les choix esthétiques et artistiques prévalent sur les problèmes techniques. C’est important d’acquérir ces œuvres et de les documenter, même si elles sont parfois vouées à disparaître.»

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