À Montréal, des milliers d’immigrants vivent clandestinement. Ils n’ont pas droit aux soins de santé, à l’aide juridique ou même au salaire minimum. Ils n’ont plus d’identité. Ils sont sans-papiers.
Abdelkader Belaouni est confiné dans l’église Saint-Gabriel, à Montréal, depuis plus de 1 000 jours. Sans-statut depuis 2003, il attend et espère que le gouvernement fédéral lui donne l’autorisation de devenir Canadien. Entre temps, il est devenu, bien malgré lui, le porte-parole des sans-papiers.
Un ordre d’expulsion a été émis contre l’Algérien d’origine en janvier 2006, mais il continue sa bataille pour obtenir sa résidence permanente. «On m’a refusé le statut d’immigrant au Canada parce que je ne travaillais pas et que je n’avais pas de conjointe canadienne. J’ai pourtant essayé de travailler! On a refusé de m’engager, car je n’avais pas de papiers en règle pour travailler. J’ai donc voulu aller chercher les papiers à l’immigration, mais on ne me les a pas donnés parce que je ne travaillais pas. C’est un cercle vicieux dans lequel je suis coincé.»
Au Canada et dans le monde
On estime qu’il y aurait entre 200 000 et 500 000 immigrants illégaux au Canada, principalement dans les grandes villes. Si le phénomène des sans-papiers est répandu au Canada, il est encore plus présent ailleurs dans le monde, notamment chez nos voisins du sud. «Le problème de l’immigration illégale est moins grave au Canada qu’aux États-Unis et en Europe, explique le professeur spécialisé en immigration à l’Université d’Ottawa Gilles Grenier. C’est parce que le Canada est géographiquement loin des pays d’où viennent ces immigrants. Cela dit, il y a des gens sans-statut au Canada, mais leur nombre est assez restreint.»
«Les sans-statut peuvent être des personnes venues temporairement au Canada, des visiteurs, des étudiants ou encore des travailleurs étrangers, qui n’ont pas prolongé officiellement leur séjour ou à qui on a refusé une prolongation de statut, expose Jacqueline Roby, affectée aux communications de Citoyenneté et Immigration Canada. Ils peuvent être des demandeurs d’asile déboutés ou des demandeurs de résidence permanente refusés et ayant épuisé tous les recours d’appel.»
Conditions de vie dégradantes
Les immigrants illégaux vivant au Canada n’ont souvent d’autre choix que d’accepter des conditions de vie médiocres. Ils n’ont pas accès aux services sociaux comme l’assurance maladie et l’aide sociale. Sans identité au Canada, il est difficile pour ces personnes de trouver un endroit où se faire soigner. «Je suis diabétique et je dois voir un médecin souvent, déplore Abdelkader Belaouni. Par chance, plusieurs médecins et infirmières viennent me rencontrer et m’examiner gratuitement. Je reçois également des médicaments. Je ne sais pas qui les donne, je n’ai jamais demandé. J’ai également très mal aux dents et je devrais me faire opérer, mais je ne peux pas sortir de l’église, et il est évident qu’on ne peut pas m’opérer ici. Je souffre donc, tous les jours.»
N’ayant aucun recours juridique, les sans-papiers travaillent souvent pour moins que le salaire minimum. «De nombreux immigrants sans-statut ont des emplois que les Canadiens ne veulent pas occuper et sont exploités par leurs employeurs», soutient la Coalition STATUS, qui défend la régularisation du statut des sans-papiers. Selon elle, les sans-papiers travaillent principalement comme nounous, dans des manufactures, sur les chantiers de construction et dans la restauration. Selon un rapport publié par Louise Boivin, coordonatrice du comité immigration de la Ligue des droits et libertés du Québec, plusieurs immigrants sans-statut sont même victimes de chantage de la part de leurs employeurs. Certains sont parfois contraints d’offrir des faveurs sexuelles afin de conserver leur emploi sans être dénoncé.
Les sans-papiers acceptent généralement sans broncher ces conditions de vie misérables. «Ces personnes acceptent de vivre ainsi à cause des écarts de niveaux de vie, explique Gilles Grenier. Ils sont prêts à prendre des risques pour venir dans un pays plus riche, car, s’ils réussissent, ils pourront gagner et envoyer beaucoup plus d’argent à leur famille que s’ils étaient restés dans leur pays d’origine.» Abdelkader Belaouni abonde dans le même sens. «Malgré ma situation, je ne regrette pas d’être venu au Canada. Je continue de penser que cela valait la peine. Je crois simplement que mon cas est un trou noir dans le système de l’immigration, je n’en veux pas au reste du Canada.»
Régularisation des sans-papiers
Depuis de nombreuses années, les grandes puissances occidentales cherchent le moyen de régulariser. Les solutions habituellement envisagées passent par l’obtention d’un statut qui leur garantirait les mêmes droits que ceux des résidents permanents. Abdelkader Belaouni croit aux bienfaits de cette solution. «Il y a des gens, même s’ils sont illégaux, qui participent à l’économie du pays, soutient-il. Ils travaillent et sont sûrement de bons citoyens même s’ils sont clandestins. Je crois que le gouvernement devrait leur donner une chance.»
Abdelkader Belaouni attend patiemment le jour où il pourra marcher dehors comme un homme libre. «Je vois de l’espoir pour mon futur, assure-t-il. Il y a beaucoup de cas qui se règlent partout au Canada. Il y a plein de personnes qui sont aussi entrées à l’église après moi, et qui en sont déjà sorties. J’attends mon tour. Je ne me suis jamais considéré comme un immigrant. C’est peut-être là le problème. Je ne veux pas quitter le pays parce que je me considère Canadien. J’oublie souvent que je suis sans-papiers.»
Abdelkader Belaouni, réfugié d’origine algérienne, a perdu la vue à l’âge de 25 ans. Quatre ans plus tard, en 1996, il fuit la guerre civile en Algérie pour s’installer aux États-Unis. Il rentre au pays en février 2000, mais à la suite de nombreuses menaces à son égard, il retourne aux États-Unis quelques mois plus tard. N’ayant pas réussi y à obtenir un statut de résident permanent , un ordre d’expulsion est émis contre lui en septembre 2003. Il fuit donc clandestinement vers le Canada, où le gouvernement lui refuse à son tour un statut de résident permanent. Il est réfugié dans une église de Pointe Saint-Charles à Montréal depuis le 1er janvier 2006.
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