Un nouveau visage pour l’île

Photo Mathieu Dubois - Le taux de fécondité de certains communautés dépasse de beaucoup celui des familles francophones et anglophones. Cette situation pourrait bien entraîner des problèmes d'urbanisme.

 

An 2042, coin Sainte-Catherine et Saint-Denis. Les bâtiments de l’UQAM sont toujours bruns, les pigeons continuent leur parade sur le trottoir et autant d’étudiants prennent une pause cigarette. La ville n’a pas vraiment changé, mais les visages qui la composent ont changé de traits. Portrait en deux temps d’une ville en mutation.

En 2042, la Ville de Montréal fêtera ses 400 ans. Selon un des scénarios du démographe Marc Termote, la proportion des allophones pourrait dépasser celle des francophones à ce moment. Alors que le nombre de Québécois de langue maternelle française passait pour la première fois sous la barre des 50% sur l’île de Montréal en 2006, la proportion d’allophones a presque doublé entre 1971 et 2001 pour ce même territoire. L’immigration internationale et une fécondité des allophones qui est un peu plus élevée que celles des deux groupes majoritaires, francophones et anglophones, sont sans contredit parmi les principaux facteurs expliquant cette augmentation, selon un rapport de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

L’avenir du français
Ce n’est que cette année que l’OQLF a commencé à publier des études sur la situation du français. Le premier rapport a été présenté en mars 2008. «C’est la première fois que nous avons une vision à long terme quant à l’avenir de la langue française. Il est donc difficile de faire des comparatifs et des projections, mais certains chiffres sont encourageants», explique le porte-parole de l’OQLF, Martin Bergeron. Par exemple, le français comme langue d’usage public a augmenté de 10% entre 1991 et 2001. La connaissance du français s’est également accrue de 7% au sein de la population allophone, atteignant 75% en 2006. «Si la proportion d’immigrants adoptant le français comme langue publique augmente, nous allons être en mesure d’assurer son avenir», explique Martin Bergeron. Néanmoins, le recensement de 2006, réalisé par Statistique Canada, montre que le pourcentage de Montréalais à utiliser le français comme langue maternelle et langue parlée le plus souvent à la maison diminue d’environ 1% à tous les cinq ans depuis 1996.

Il y a amélioration du côté des transferts linguistiques, c’est-à-dire des allophones qui parlent maintenant le français à la maison. Ces transferts sont passés de 41% à 45% de 2001 à 2006, selon Statistique Canada. Même si ces derniers augmentent, la Société Saint-Jean Baptiste (SSJB), une organisation patriotique, les trouve nettement insuffisants. «Il faudrait que les transferts linguistiques augmentent à 90% pour vraiment assurer l’avenir du français. À Toronto et Ottawa, ils sont à plus de 95% vers l’anglais. Ce n’est pas tant la présence allophone qui nous inquiète, mais l’attraction de l’anglais», soulève le président de la SSJB, Mario Beaulieu.

Dans une lettre ouverte au quotidien La Presse, le démographe Calvin Veltman a mentionné que ce n’est pas le pourcentage de francophones sur l’île de Montréal qui déterminera le futur de la langue française, mais les structures qui rendent le français obligatoire en public, comme la loi 101. Il croit que la baisse de l’utilisation du français n’est qu’un phénomène passager parce que de plus en plus en d’immigrants adoptent le français comme langue d’usage. L’avenir du français ne serait donc pas menacé puisque les allophones seront francisés, croit le démographe.

Étant donné que la majorité des allophones habitent sur l’île de Montréal, les élus de la municipalité travaillent de concert avec le gouvernement du Québec pour assurer la francisation des immigrants. «Pour nous, la ville de Montréal est une ville francophone. Nous avons tous les outils nécessaires pour franciser les nouveaux arrivants malgré les changements démographiques», explique le responsable du développement économique de Montréal, Alan DeSousa.

Problèmes d’infrastructures à venir
Il n’y a pas que la langue française qui pourrait être touchée par la modification de la population montréalaise. Le taux de fécondité (le nombre d’enfants par femme fertile) de certaines communautés dépasse de beaucoup celui des familles francophones et anglophones. Cette situation pourrait bien entraîner certains problèmes d’urbanisme et d’infrastructures.

L’exemple par excellence de cette réalité est celui des familles de la communauté juive hassidique d’Outremont, qui ont en moyenne 5,69 enfants par foyer. Toutefois, la fécondité de ces familles n’est pas représentative de la majorité des allophones de l’île de Montréal. Le taux de fécondité des allophones du Québec se situe à 1,8. Pour les familles anglophones et francophones du Québec, ce taux se situe à 1,5.

Selon une projection de population de la Coalition d’organisations hassidiques d’Outremont (COHO), la population juive hassidique de l’arrondissement pourrait passer de 5 000 individus à plus de 12 000 en 2030. «Nous allons avoir les mêmes besoins que tout le monde: des écoles, des épiceries et toutes les autres infrastructures nécessaires. La seule différence est que nous avons beaucoup plus d’enfants. Il va falloir de plus grands appartements et plus d’écoles», affirme le président de la COHO, Alex Werzberger.

L’accroissement de la population hassidique amène le problème de la densification de la population dans un arrondissement où les perspectives d’agrandissement sont quasi-nulles. «Les logements sont déjà à leur limite et même au-delà de leur limite d’implantation. On ne peut pas construire plus de duplex et de triplex. Il ne reste que la gare de triage du CP où l’on pourrait construire des logements», explique le directeur du service de l’aménagement urbain et du patrimoine d’Outremont, Pierre Chapuis. «La situation de densification n’est pas unique aux allophones puisque pas très loin, dans l’arrondissement du Plateau Mont-Royal, le niveau d’implantation est encore plus élevé qu’à Outremont», soulève-t-il.

Le phénomène est similaire pour les écoles juives. Deux écoles juives hassidiques d’Outremont ont déjà reçu le feu vert pour agrandir leurs installations parce qu’elles ne sont pas assez grandes pour accueillir les élèves. «Étant donné que la communauté hassidique est religieuse, ils ont besoin d’ écoles juives et de lieux de cultes. Il va falloir s’asseoir avec la communauté pour connaître ses besoins et savoir à quoi s’en tenir à court et à long terme», explique le président du comité consultatif sur les relations intercommunautaires d’Outremont, Louis Moffat.

Selon Pierre Chapuis, il existe trois types de solution à cette situation de densification de la population juive hassidique. Il y a en premier lieu l’agrandissement des logements par l’intérieur. Souvent, il s’agit de rendre le sous-sol conforme aux lois pour y ajouter des chambres. Les communautés pourraient également migrer pour s’installer ailleurs, comme à Boisbriand, où il existe une importante communauté juive. Finalement, Outremont pourrait modifier les règles d’urbanisme pour permettre, par exemple, à un triplex d’avoir un quatrième étage. «Ça serait majeur comme modification parce que le quartier changerait complètement d’allure. Ce n’est pas une option viable. Il risque d’y avoir de graves problèmes d’hygiène, d’éclairage et de stationnement si la densification augmente à ce point», explique Pierre Chapuis.

Outremont n’est pas le seul arrondissement de Montréal à vivre les impacts de la forte fécondité de certains groupes allophones. Des quartiers à forte proportion allophone comme Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension auront également à se questionner tôt ou tard sur ces changements démographiques.

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