La guerre des clans

Deux études relancent le débat sur la hausse des frais de scolarité

Faire payer les étudiants pour leurs formation universitaires ou augmenter l’engagement de l’État? Deux nouvelles études aux résultats opposées viennent alimenter un débat qui semble sans fin.

 
Le cessez-le-feu entre les partisans du dégel des frais de scolarité et ceux d’un financement plus grand de l’État est levé. Les tenants des deux positions ont maintenant de nouvelles armes grâce aux plus récentes études de  l’Institut économique de Montréal (IEDM) et de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS).

 

 

 

Dans une étude sur le financement à long terme des universités parue le 20 octobre dernier, l’économiste de l’IEDM Mathieu Laberge estime proposer une «voie du compromis» en suggérant un dégel asymétrique des droits de scolarité. Sa proposition est que les étudiants paient 38,1% du coût réel de leur formation universitaire, soit la proportion que les étudiants des sciences humaines et sociales paient actuellement. Avec une telle mesure, les futurs vétérinaires verraient leurs frais de scolarité augmenter de plus de 10 000 dollars par session, tandis que le fardeau des étudiants en lettres serait allégé de 81$. Pour les universités, cela se traduirait par des gains combinés de plus de 100 millions$.

La proposition de l’IEDM permettrait de rejoindre en partie la moyenne du financement universitaire par les étudiants au Canada, qui est de 4 470$ par année, selon le rapport Montmarquette. «On n’a pas le choix, affirme Mathieu Laberge. Si l’éducation n’est pas bonne, les entreprises d’ici vont aller chercher les travailleurs ailleurs. On doit pouvoir former nos propres travailleurs, c’est notre marché.»

L’étude de Mathieu Laberge n’a pas manqué de soulever l’ire des syndicats étudiants. La secrétaire à la recherche et aux affaires académiques de l’Association pour une Solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), Catherine Brunet, déplore qu’on veuille «assujetir l’éducation aux finalités du marché. Il faut que la collectivité décide que les études post-secondaires sont importantes et qu’on en fasse un projet de société.»  Par voie de communiqué, la Fédération des étudiants universitaires du Québec (FEUQ) a quant à elle affirmé que l’IEDM propose encore «la même recette indigeste qu’elle propose à tous les maux: la déréglementation». Elle cite les exemples des universités Western et Guelph en Ontario, où ce phénomène a engendré une diminution du nombre d’étudiants issus de familles pauvres dans les programmes de médecine.

Mathieu Laberge fait fi de ces critiques et croit dur comme fer que son modèle a du sens. «La FEUQ va piger des micro-exemples pour contredire ma thèse, se défend-il. Ça prouve qu’ils n’ont pas grand chose à dire. Le problème avec le mouvement étudiant actuel, c’est qu’il ne sait pas comment réagir.»

Selon le chercheur, l’accessibilité aux études ne serait pas compromise par le dégel asymétrique grâce au principe du remboursement proportionnel au revenu (RPR). Selon cette formule, l’étudiant commence à rembourser son prêt uniquement lorsqu’il a atteint un certain seuil de revenu. Les taux d’intérêts varient également selon cette donnée. «C’est surtout un mécanisme pour les étudiants les plus pauvres, affirme Mathieu Laberge. Pour un médecin, la dette pourrait facilement être remboursée dans un délai de cinq à dix ans.»

 
Droit de réplique
 
Dans une étude parue le 23 octobre, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) s’est penchée sur l’utilisation du RPR dans certains pays. En étudiant le cas de l’Australie, où le RPR a été introduit en 1989, les chercheurs Éric Martin et Philippe Hurteau ont conclu que ce mécanisme avait engendré «une explosion de l’endettement étudiant». Aujourd’hui, l’Australie tire la sonnette d’alarme, car cette réforme est allée trop loin. Selon l’IRIS, la dette des étudiants australiens se chiffre maintenant à 10,4 milliards de dollars canadiens. «C’était sensé être un diachylon, mais c’est devenu la source principale de financement, explique Éric Martin. Le RPR vise à éliminer à petit feu le financement gouvernemental. Des études ont démontré que ce n’est pas une aide à l’étudiant, mais plutôt un dispositif vers un régime à contribution étudiante élevée.»

Si Québec introduisait le RPR et le dégel asymétrique, Philippe Hurteau estime que la province s’engagerait dans une «transition vers le modèle américain», où le désengagement de l’État a atteint son paroxysme. Il soutient qu’aux États-Unis, la hausse des frais de scolarité a doublé la proportion du revenu consacrée aux études chez les plus pauvres, tandis qu’elle est restée semblable chez les plus riches. «Ça contribue à créer un système à deux vitesses. Les corporations privées et l’étudiant deviennent de nouvelles sources de financement. C’est une rupture avec le modèle traditionnel québécois.» Selon lui, il faut lire entre les lignes et voir les autres implications d’une telle déréglementation. «La hausse des frais de scolarité cache une volonté de faire une plus grande place au privé dans l’éducation», affirme Philippe Hurteau. La solution, à ses yeux, passe plutôt par un engagement plus grand de l’État.

Mathieu Laberge se défend de prôner une déréglementation massive. «Le gouvernement québécois investit déjà des sommes comparables ou supérieures à celles des autres provinces dans l’éducation. Il y a quand même 42% des gens dont les frais demeureront inchangés selon mon modèle. C’est normal de s’endetter pour étudier! Le problème de base est la liquidité et le RPR le règle. La plupart des gens étudient pour faire un salaire supérieur à ce qu’ils feraient sans diplôme. L’IRIS ne semble pas croire à la mobilité sociale, qui est pourtant incroyable au Québec.»

 

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Une commande de l’AFESPED

L’étude de l’IRIS a été commandée par l’Association facultaire des étudiants en sciences politiques de l’UQAM (AFESPED) et payée à partir des cotisations étudiantes. «On voulait faire appel à un organisme indépendant pour développer un outil politique face aux mécanismes étatiques visant à hausser les frais de scolarités», explique Philippe Lapointe, coordonateur académique de l’association.

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