Au royaume de Drella

«He had too much influence on my life.» Valerie Solanas venait de se déclarer coupable de tentative de meurtre sur la personne d’Andy Warhol lorsqu’elle prononça ces mots célèbres. La jeune féministe ne pouvait supporter que l’excentrique créateur l’ignore et avait vidé quelques minutes auparavant son chargeur sur lui.

Solanas n’eut pas la peau de Warhol, mais il en garda des séquelles toute sa vie. Surtout, cet événement opéra un changement majeur dans l’image de l’artiste. D’emmerdeur qui chamboulait les règles établies pour l’amour de l’art et de la célébrité, Andy Warhol est passé au statut d’icône à l’image surexploitée.

Tout ça, je l’ignorais avant de voir I shot Andy Warhol. Mises à part ses qualités discutables, il m’est resté du film une fascination nouvelle pour l’homme et son œuvre.
Manifestement, je ne suis pas la seule à considérer Warhol comme un point de repère majeur dans l’histoire de l’art contemporain. Le public montréalais a aussi réagi plus que favorablement à l’annonce de la venue, au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), d’une exposition consacrée au prêtre du Pop Art.

Comment expliquer l’empreinte de géant que Warhol a laissée, non seulement sur le domaine artistique, mais aussi sur l’imaginaire collectif qui le récupère fréquemment en publicité? Qu’est-ce qui distingue sa gloire du succès plus modeste de ses contemporains Jasper Johns ou Roy Lichtenstein?

Un savant mélange d’image fantastique, de talent réel et d’avant-gardisme, ai-je réalisé. Ce n’est pas tant l’œuvre de Warhol qui a fait son succès que son rôle dans la société des années 60, et son auteur lui-même. «Warhol, c’était avant tout un personnage fascinant, m’a expliqué le sociologue Jean-François Côté. Ses amis l’appelaient Drella, un mélange de Dracula et de Cinderella, parce qu’il jouait dans le registre de l’émerveillement continuel à la Walt Disney, mais drainait son entourage autant qu’il le pouvait.»

Usine à rêves
L’aura qui entourait son lieu de travail, la mythique Factory, aura aussi contribué à l’image fantastique de ce fils d’immigrants modestes qui a atteint le faîte de la gloire. À la Factory, artistes et stars sur l’amphétamine se rassemblaient pour servir la «vision» de Warhol. Travail à la chaîne sur les sérigraphies, tournages de films expérimentaux, orgies déjantées et rock’n’roll faisaient partie du quotidien.

L’exposition Warhol Live, qui s’installera au MBAM dès le 25 septembre prochain, reconstituera un peu de cette ambiance typique de l’époque grâce à la scénographie de Guillaume de Fontenay et à de nombreux documents d’archives. Soupe Campbell et Marylin en technicolor à part, c’est l’interaction entre Warhol et la musique qui sera la vedette de l’exposition, un choix éditorial extrêmement intéressant de la part du MBAM.

C’est que la musique aura eu un impact définitif sur la carrière de Warhol, et réciproquement. «Le rock faisait partie intégrante de la vie à la Factory en tant qu’élément essentiel de la contre-culture des années 60, précise Jean-François Côté. Warhol a été associé à la montée de groupes phares comme les Rolling Stones, pour lesquels il a réalisé la fameuse pochette « zipper » du disque Sticky Fingers, et surtout des Velvet Underground, dont il fut le gérant.»

Warhol aimait transformer les artistes qu’il prenait sous son aile en Stars avec un grand «S». Il pouvait ensuite naviguer d’étoile en étoile, au sein de la grande constellation du Studio 54, et se dire qu’il était à la source de tous ces «15 minutes de gloire». Un petit côté «fée des étoiles trash» dont l’Amérique avait bien besoin au lendemain de la guerre et qui va bien au-delà des Marilyn multicolores qui se retrouvent, bon an mal an, sur nos agendas et cartables hors de prix.

Warhol Live, au MBAM du 25 septembre 2008 au 18 janvier 2009
culture.campus@uqam.ca

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