Listermania

En proie à un délire hypocondriaque dû à une surconsommation récente de nouvelles, mon cerveau s’est laissé aller à de loufoques (enfin, pas tant que ça) élucubrations, que je vous livre ici avant de succomber à la nausée et aux maux de tête qui m’affligent (à moins que ce ne soit les effets d’une fiesta un peu trop arrosée).

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La famille Toutlemonde regardait son goûter, l’air inquiet. Depuis près de deux semaines, un monstre d’une cruauté sans nom parcourait le Cashnada, décimant insidieusement la vie de dizaines de citoyens.
À la télévision, Dermard Berôme annonçait laconiquement la mort du 13e Cashnadien ayant succombé aux supplices de Listerman. «La victime aurait consommé par inadvertance un des produits marqués du sceau de Listerman. Une infection du sang, due à la bactérie que le monstre aurait introduite dans l’emballage, serait venue à bout de l’homme. Bien que l’usine de Listerman ait été identifiée récemment et que la plupart de ses produits aient été détruits, les autorités demandent aux citoyens de demeurer vigilants, Listerman n’ayant toujours pas été arrêté. Selon une source bien informée, Listerman produirait maintenant des fromages contaminés.»
Le père, qui s’apprêtait à mordre dans son sandwich, stoppa son élan. C’en était trop, il fallait prendre les choses en main. D’un brusque mouvement du bras, il jeta le goûter familial par terre, sous les yeux médusés de sa petite famille. Il saisit le combiné du téléphone et entreprit de rassembler ses pairs afin de partir aux trousses de Listerman.
Il ne réussit à convaincre que deux personnes, la population cashnadienne s’étant depuis longtemps barricadée, terrorisée à l’idée de se retrouver face à face avec le monstre. Rivés à leurs écrans, tous attendaient la fin de Listerman sans oser y prendre part.
Le père partit donc en croisade, accompagné d’un boucher réputé de Mourial City, qui avait maintes fois repoussé les assauts de Listerman, et d’une microbiologiste chevronnée, qui ne voyait en Listerman qu’un vilain garçon dont la réputation avait été enflée par les médias d’information. Un journaliste avide de développements les suivait à la trace.
Ils parcoururent boucheries et fromageries, jetant tout produit douteux sur leur passage. Ils manquaient cependant toujours de près Listerman, détail que se plaisait à rappeler le journaliste lors de ses échanges à l’antenne avec Dermard Berôme.
Après des jours de chasse à l’homme, le boucher, la microbiologiste et le père de famille n’avaient toujours pas retrouvé la trace du vilain, bien que ce dernier ait pris soin de laisser sa marque dans le sol, la végétation, les aliments du bétail et les matières fécales animales et humaines. Listerman n’était pas né de la dernière pluie. Il avait déjà sévi par le passé et s’était, depuis, bien installé dans la nature.
Le trio voyait son enthousiasme s’essouffler devant l’ampleur de la tâche. Les commerçants, furieux de voir leurs profits fondre, accueillaient maintenant les aventuriers avec colère.
Puis, le journaliste fut envoyé sur une autre histoire. Des élections attendaient le Cashnada et la Listermania, qui s’était emparé de la population, commençait à fondre. Le trio fut vite relégué aux oubliettes et on n’entendit plus parler des méfaits de Listerman, qui continua à sévir, loin de l’attention publique.
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La listériose, que certains ont avec justesse renommée l’hystériose, doit indubitablement être prise au sérieux par les autorités. Or, la psychose créée par les médias autour de la bactérie Listeria monocytogenes (dont la définition a été galvaudée jusqu’au troisième jour de couverture), est loin d’être justifiée. Selon l’Agence de santé publique du Canada, les personnes en bonne santé sont en effet rarement affectées par la bactérie dont l’actuelle notoriété doit titiller les organisateurs du 400e de Québec. À quand Listerman sur les plaines?

Caroline Chrétien
societe.campus@uqam.ca

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