La reconstruction du mur de Berlin

Le vice-président américain, Richard Cheney, a effectué la semaine dernière un voyage diplomatique en Asie centrale et en Europe. Trois des quatre pays qu’il a visités faisaient partie, il y a moins de vingt ans, de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS): l’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Ukraine. Au cours de son périple, il a assuré aux autorités azerbaïdjanaises qu’elles pourraient écouler leurs vastes réserves de gaz naturel sans passer par le territoire de la Russie, ancienne puissance occupante de cette république turque du Caucase. Deuxième étape du voyage: la Géorgie. Là-bas, Richard Cheney a assuré au gouvernement le soutien des USA quant à l’intégrité territoriale de la petite république, dont deux régions séparatistes sont occupées par les troupes de Moscou depuis un mois. Le gouvernement américain souhaite de plus l’accession de le Géorgie à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), la grande alliance militaire occidentale. Lors de l’étape ukrainienne de son déplacement, le bras droit de Georges W. Bush a fait au gouvernement de Kiev des promesses similaires: soutien des USA sur les plans économique et militaire, et promesse d’adhésion à l’OTAN.

Le voyage du vice-président américain constitue un acte de provocation diplomatique et militaire délibéré en direction de la Russie. Cette hostilité envers Moscou n’est pas nouvelle. Elle s’exprime dans une longue série de décisions constituant un fil conducteur mis en place dès la prise de pouvoir de Georges W. Bush. Durant sa première année à la présidence, l’ancien gouverneur du Texas a mis fin unilatéralement au traité sur les missiles antimissiles, signé par Washington et Moscou en 1972, visant à limiter la production, délirante à l’époque, d’armes nucléaires par les deux protagonistes de la Guerre froide. Il y eut ensuite l’appui américain à la construction du pipeline Bakou-Tbilissi-Ceylan, dans le but de faire transiter le gaz naturel d’Azerbaïdjan vers l’Europe via la Géorgie et la Turquie, deux alliés américains, plutôt que par la Russie. À cette liste s’ajoutent le projet de déploiement de boucliers anti-missiles en Pologne et en République tchèque, et celui de la militarisation de l’espace en utilisant le ciel canadien. La liste est loin d’être exhaustive, et comprend le soutien américain à l’élection de gouvernements hostiles à Moscou dans l’ensemble de l’ancienne zone d’influence soviétique.

Une Guerre froide qui se poursuit

Le bilan de l’actuel gouvernement américain dans ses rapports avec la deuxième puissance militaire mondiale rend absurdes ses appels exhortant la Russie à ne pas déclencher une nouvelle «Guerre froide». C’est pourtant ce que fait Washington depuis bientôt huit ans. En fait, la seule accalmie dans cette «Guerre froide» qui n’a jamais pris fin était temporaire et circonstancielle. L’effondrement économique de la Russie après la dissolution de l’URSS était si grave que les leaders russes de l’époque ont pratiquement supplié à genoux le Fonds monétaire international et les grandes entreprises occidentales de renflouer de capitaux leur économie exsangue. Il était alors plutôt facile pour les Américains et leurs alliés de considérer la Russie, affaiblie, dépendante et extrêmement conciliante, comme une alliée. Le jour où le pays a été en mesure de défendre ses intérêts, à l’intérieur et, dans une moindre mesure, à l’extérieur de ses frontières, il est redevenu un rival, pour bientôt se transformer en ennemi.

Le régime actuellement en place à Moscou suscite peu de sympathie. La présidence de Vladimir Poutine, qui a concordé presque exactement avec celle de Georges W. Bush, a été marquée par des violations à grande échelle des libertés civiques du peuple russe, un recul important du système démocratique mis en place après la chute de l’URSS, une mainmise de l’État sur les médias d’information, la corruption des politiciens et des gens d’affaires et une montée inquiétante de la violence nationaliste dans le pays. De plus, par la répression au moyen d’une violence inouïe du mouvement séparatiste en Tchétchénie, Vladimir Poutine s’est rendu coupable de ce qui devrait être considéré comme des crimes contre l’humanité.

Des leçons de morale difficiles à donner

En réaction à l’invasion de la Géorgie par les troupes russes, le premier ministre canadien a appelé le Groupe des huit pays les plus industrialisés (G8) à exclure la Russie de ses rangs. L’Occident est pourtant moins en mesure que jamais de donner des leçons de moralité et de justice sur la conduite des affaires internationales. L’Irak, l’Afghanistan, l’espionnage et les arrestations sans procès de leurs propres citoyens, et bien d’autres entorses à leurs principes, ont privé les membres de l’OTAN de l‘autorité morale qu’ils ont pu avoir à une autre époque. Les pays du «monde libre» devraient revenir aux valeurs par lesquelles ils se définissent s’ils souhaitent jouer un rôle d’influence et de soutien positif sur la scène internationale, plutôt que de se contenter de jouer de façon cynique et dangereuse à «tes guerres sont plus dégueulasses que les miennes» avec la Russie, la Chine, l’Iran et tous autre pays qui remettent en question leur hégémonie sur les affaires du monde.

redacteur.campus@uqam.ca

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