Au revoir l’Homo sapiens!

Photo Simon Belleau

Choisir le sexe de son enfant, avaler des pilules pour contrôler ses humeurs ou pour augmenter ses performances intellectuelles, vivre éternellement… La pièce documentaire Transhumain se pose la question de ce que sera l’homme de demain, une fois passé au bistouri.

 


 

Pour leur première création, les membres de la jeune troupe DOC.THEATRE ont choisi de s’intéresser au rôle que la science est appelée à jouer dans l’évolution du corps humain. Le résultat est Transhumain, une création collective inspirée du livre Le Nouvel Homme nouveau d’Antoine Robitaille, journaliste au quotidien Le Devoir. Dans cet ouvrage, l’auteur aborde le sujet du transhumanisme, une idéologie fondée sur l’amélioration de l’Homme à l’aide de la science. Certains adeptes de ce mouvement encouragent une transition scientifique pour que l’Homo Sapiens devienne le Posthumain. «Ces êtres [imaginaires] ont souvent une part humaine “traditionnelle”, quelques tissus, le cerveau, parfois la forme, mais pas toujours. Souvent, ils ont été modifiés génétiquement. Ou alors ils sont totalement synthétiques», décrit le journaliste dans son œuvre.

 

Les réflexions d’Antoine Robitaille ont captivé la metteuse en scène Stéphanie Lambert, diplômée en scénographie à l’Université Concordia et initiatrice du projet. «Les mouvements sociaux et les idéologies m’intéressent beaucoup. J’ai étudié en publicité au cégep et j’y ai appris comment contrôler une masse et comment les idées circulent dans une société. Même si je n’avais jamais entendu parler du transhumanisme avant de lire l’œuvre d’Antoine Robitaille, cela m’a passionnée.» Son projet en tête, elle a contacté l’auteur pour qu’il l’autorise à s’inspirer des propos de son œuvre. Le journaliste est devenu depuis une personne ressource pour la troupe de théâtre dont tous les membres sont impliqués dans le processus de recherche.

 

La comédienne Geneviève Fontaine a été impressionnée de constater l’actualité du sujet. «Plusieurs éléments du transhumanisme font partie intégrante de notre société, comme le Viagra, le Prozac, le Ritalin, la cryogénie et la fécondation in vitro. Il y a toujours un changement qui intervient dans le rôle de l’humain et dans sa modification, que ce soit physique ou cognitif. Cela fait partie de notre quotidien et il faut en prendre conscience.»

 

Les membres de DOC.THEATRE ont créé une pièce basée sur des faits réels, mais dont le but est de susciter un questionnement éthique. La pièce met en scène Kevin, un étudiant en journalisme interprété par le comédien Vance De Waele. Au cours de ses recherches sur le transhumanisme, il découvre que certains aspects de cette idéologie le touchent au quotidien. Il rencontre des gens sous médication, d’autres qui désirent un bébé sur mesure et même un homme avec une oreille sur le bras. «La pièce porte sur la façon dont la science est incorporée dans l’homme à travers quatre ou cinq petites histoires qui s’entrecroisent», raconte Geneviève Fontaine.

 

Du livre d’Antoine Robitaille, une fois le processus de création effectué, la troupe aura surtout retenu les histoires vécues plutôt que les faits et les statistiques scientifiques. Au moment de l’entrevue, l’histoire restait encore sujette à changements, étant donné le processus de création work in progress de la troupe, majoritairement basé sur des recherches, des improvisations artistiques et des rencontres avec des spécialistes de la santé, des partisans du mouvement transhumaniste ou des penseurs. À l’image de la rapidité à laquelle la science évolue, la troupe a opté pour une mise en scène mouvementée, explique le comédien Samuel Chan. Quatre acteurs interprètent une vingtaine de personnages et sont participent aux transitions des décors.

Idéologie totalitaire?
Malgré le contenu potentiellement polémique de la pièce, Stéphanie Lambert n’a pas l’intention d’en faire un manifeste pour ou contre le transhumanisme. «Je n’aime pas aller au théâtre pour me faire exposer une vérité. On met de l’avant des opinions différentes par l’entremise des personnages. Je trouve que de poser des questions au lieu de donner des réponses est une meilleure approche.» Elle admet par contre éprouver de fortes réticences devant l’idéologie dans son ensemble. «Selon moi, le transhumanisme est lié au capitalisme totalitaire. Je n’embarque pas dans les mouvements qui prétendent accéder à un monde meilleur et essayent d’en convaincre les gens.»

 

Comme l’objectif de la troupe était d’abord de se questionner honnêtement sur le phénomène, les membres du projet ont échangé sur le sujet tout au long du processus créatif, que ce soit avec plusieurs spécialistes ou par l’entremise d’un forum ouvert au public sur leur site Internet. «On veut vivre une expérience théâtrale à travers laquelle on peut être imprégné à plusieurs niveaux», explique l’assistante à la mise en scène Audrey-Anne Bouchard.

 

Le comédien Samuel Chan définit pour sa part le projet Transhumain comme du théâtre documentaire dont l’aspect informatif intervient davantage avant et après le spectacle. Afin d’être préparé à la représentation, le spectateur est fortement invité à se renseigner sur le sujet en naviguant sur le site Internet bien documenté du collectif. Après chaque représentation, des spécialistes du sujet discuteront avec les spectateurs. «Il y a un manque dans le discours public et c’est pourquoi c’est davantage important d’en parler, déclare la metteuse en scène. Les débats politiques à ce sujet me semblent faibles au Québec, tandis qu’on en entend beaucoup parler en Angleterre, par exemple», déplore Stéphanie Lambert.

 

Malgré tout le travail entourant Transhumain, le questionnement autour de l’idéologie controversée ne fait que commencer pour DOC.THEATRE. Pour la troupe, le propos restera d’actualité longtemps. «Lorsqu’on pense qu’on a épuisé le sujet, il y a toujours du nouveau», selon Vance De Waele. Antoine Robitaille souligne l’importance de s’attarder au sujet dans Le Nouvel Homme nouveau. «Même si les textes posthumanistes et transhumanistes peuvent souvent sembler “ridicules” […] ces phénomènes idéologiques sont riches en révélations sur notre temps et aussi sur certains périls qui nous guettent.»

Transhumain
1er au 5 octobre au Théâtre Sainte-Catherine
www.transhumain.net

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