Mehrnoushe Solouki : documentariste franco-iranienne

Retenue contre son gré en Iran pendant un an, la réalisatrice Mehrnoushe Solouki souhaite maintenant raconter son histoire. Par le fait même, elle veut faire la lumière sur un massacre politique oublié.

Une petite cellule éclairée jour et nuit, des interrogatoires quotidiens sans fin et les pleurs de femmes enfermées dans des pièces adjacentes. Voilà qui résume le séjour de la journaliste franco-iranienne Mehrnoushe Solouki, dans la section réservée aux prisonnières d’opinion de la prison d’Evin, en Iran. Son crime: avoir réalisé un documentaire qui abordait un massacre survenu vingt ans auparavant dans le pays des ayatollahs. Elle possédait pourtant toutes les autorisations requises pour ce projet réalisé dans le cadre de sa thèse à l’UQAM.
Libérée après un mois de détention où elle s’est sentie «comme dans une tombe», Mehrnoushe Solouki a dû rester en Iran pendant près d’un an, dans l’attente de son procès. Le 18 janvier 2008, elle a enfin pu quitter le pays pour retourner en France, mais son film en cours de production est resté derrière, entre les mains des services de renseignement iraniens.
L’histoire de la documentariste a retenu l’attention de plusieurs organes de presse, tant canadiens que français. «Si je suis sortie du pays, c’est en partie parce que les médias se sont mobilisés.» Depuis son retour, elle trouve toutefois que les journalistes insistent un peu trop sur «la terreur» qu’elle a connue en Iran. «Moi, je porte un regard humoristique sur ces événements.»
Même en prison, elle trouvait des situations cocasses. Elle a su rire lorsque ses geôliers l’ont accusée, entre autres, d’avoir été mandatée par l’Office national du film (ONF) pour réaliser un film de propagande sur les droits de l’homme en Iran. «Pour eux, l’ONF était une branche des services étrangers canadiens, pas une organisation artistique.» Une fois sortie d’Evin, la documentariste riait aussi des efforts déployés pour la surveiller. «Mon téléphone était sur écoute. Une fois, j’ai appelé un ami [qui parlait français] et, après deux heures de conversation, je lui ai dit que le salaire des traducteurs a dû exploser depuis que le gouvernement surveille mes appels.»
La cinéaste admet avoir connu «la peur, le doute, l’attente et l’humiliation». Dans ces moments, elle a toujours lutté avec le rire. «Je me disais qu’au pire, je mourrais en souriant à mes bourreaux.» À ses yeux, si les femmes veulent faire leur place dans le monde, elles «ne doivent pas se battre avec tristesse, mais avec humour».

Massacre politisé
Maintenant libre, elle souhaite plus que jamais réaliser le documentaire qu’elle n’a pu terminer en Iran. «Je vais faire mon film. Peut-être que ça prendra plusieurs années, mais il faut le tourner.» Elle jure qu’elle aura sa «revanche sur les hommes faiseurs d’histoire qui affirment que le massacre n’a pas eu lieu».
Mehrnoushe Solouki fait référence au sujet de son reportage. En 2005, lors d’un voyage de repérage en Iran, la cinéaste a visité une fosse commune à Khavaran, un quartier du sud de Téhéran où sont enterrés les corps de milliers d’hommes et de femmes. Ce charnier est le résultat de la décision d’un ayatollah qui, en 1988, a ordonné l’exécution de 30 000 prisonniers politiques. Le gouvernement les accusait d’être près des Moudjahidines du peuple iranien (MPI), un groupe de résistance armée s’opposant au régime religieux du pays.
La fosse commune de Khavaran a profondément marqué la journaliste. «Lorsqu’on entre là, ça devient un véritable champ magnétique.» La petite équipe qui l’accompagnait à ce moment a été littéralement hypnotisée par «ce lieu poétique» qu’elle peine à décrire. «Le sol est couvert de pierres pulvérisées avec quelques fleurs dispersées ici et là par les familles des victimes qui entretiennent un petit coin pour se dire que leurs enfants sont enterrés là. Je visualise l’endroit, mais je ne trouve pas les mots pour en parler.» Elle a décidé d’en faire un documentaire.
Mehrnoushe Solouki y est retournée en décembre 2006 pour effectuer le tournage. Elle a rencontré les parents de plusieurs victimes et le travail allait bon train. Lors d’une entrevue, un professeur iranien l’a avertie que les événements de 1988 n’étaient pas une affaire ancienne. «Il m’a clairement expliqué que certains responsables de ces exécutions sont encore au pouvoir.» Quelques jours avant de terminer son reportage, Mehrnoushe Solouki a été arrêtée à la sortie de son bureau.

Aucune nationalité
Sans ses images tournées en Iran, elle veut maintenant produire un docu-fiction où elle relatera à la fois son emprisonnement et l’exécution des prisonniers d’opinion. «Je vais raconter ma petite histoire où se cache l’Histoire.» Elle désire malgré tout recueillir des témoignages de proches des victimes. «J’avais trouvé des gens très intéressants en Iran, mais c’est beaucoup plus difficile en France et au Canada.»
Mehrnoushe Solouki serait prête à retourner en Iran, où sa famille réside toujours, à condition que les autorités lui donnent des garanties pour sa sécurité. Même si elle a passé 30 des 38 années de sa vie dans ce pays, elle ne se dit pas Iranienne. «Je n’ai aucune nationalité. Je suis une femme, c’est ça mon statut.»

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