Indomptables, un polar sous la chaleur camerounaise

Dans le cadre de la 31e édition du Festival de films francophones Cinémania, l’humoriste et réalisateur Thomas Ngijol a présenté son quatrième long métrage, Indomptables, vendredi soir. Dès les premières minutes, une évidence s’impose : l’œuvre de l’artiste s’éloigne des codes du récit policier classique pour illustrer une réalité camerounaise, entre tension sociale et regard humain.

Ce film d’enquête humoristique nous plonge au cœur de la vie du commissaire Billong, un homme déchiré entre sa vie personnelle chaotique et son travail exigeant. Cet antihéros, interprété par Ngijol lui-même, a pour mission d’enquêter sur le meurtre d’un policier de sa brigade Albert Koundé.

Dépassé par une vie familiale dysfonctionnelle, le père de famille fait de son mieux pour maintenir son autorité et son intégrité. Le réalisateur met en scène une figure paternelle vulnérable, durcie par la ville de Yaoundé, la capitale du Cameroun.

Indomptables est une adaptation du documentaire Un crime à Abidjan, réalisé par Mosco Boucault en 1998. Ngijol affirme avoir été marqué par ce documentaire lorsqu’il était jeune. C’est lors d’une visite à Yaoundé pendant la Coupe d’Afrique des Nations de football en 2021 que l’idée d’en faire une adaptation lui vient à l’esprit. Cet événement sportif rassembleur l’aurait « boosté  » pour ensuite entamer le processus de création, partage-t-il en discussion ouverte avec son public à la suite de la représentation.

La ferveur populaire, la solidarité et la résilience qu’il observe au Cameroun lui rappellent que le pays continue d’avancer, malgré le contexte sociopolitique tendu. L’histoire est ancrée dans une réalité qu’il voulait filmer, sans la fantasmer. Adapter un polar au Cameroun représentait pour lui un défi : éviter les clichés et donner au public local une œuvre qui lui ressemble.

L’amour plutôt que l’humour

Ngijol propose son œuvre la plus personnelle à ce jour. Avec des thèmes récurrents, tels que la corruption, l’autorité, la violence et la masculinité, il se dévoile comme il ne l’a jamais fait auparavant. « J’ai plus ouvert mon cœur et j’ai filmé avec moins de rires », confie-t-il.

Le personnage principal serait directement inspiré de son propre père, une figure d’autorité stricte, aimante, mais maladroite, que le cinéaste revisite maintenant qu’il est lui-même père de famille. La paternité devient alors l’une des véritables problématique du film : comment protéger sans étouffer? Comment aimer sans opprimer? 

Le réalisateur mélange critique et humour avec adresse en présentant subtilement les problématiques sociétales camerounaises en arrière-plan, sous les yeux des spectateurs et spectatrices. Les coupures de courant fréquentes, les failles des infrastructures de santé et la violence au sein du corps policier sont des problèmes importants dans la société camerounaise, qui vit présentement une instabilité politique sans précédent. Le long métrage trouve le juste équilibre entre satire et dénonciation pour l’aborder.

Chaleureusement accueillie

Sur le plan formel, Indomptables affirme une identité visuelle forte. La direction photo est soignée et évite toute forme d’exotisme. La caméra-épaule accompagne le commissaire Billong dans des travellings nerveux qui renforcent l’impression d’urgence et d’instabilité.

Ngijol utilise les gros plans sur le regard avec parcimonie, un choix qui révèle la vulnérabilité du personnage aux moments forts du film. Surtout, il brise volontairement les codes du polar américain : armes presque absentes, violence contenue, poursuites rares. Le film préfère la tension psychologique à l’action spectaculaire, ce qui peut parfois être au détriment de l’enquête principale. En effet, le scénario multiplie les clins d’œil pour dresser un portrait complet, au point où le fil conducteur du film nous échappe parfois.

Cette fiction a été chaleureusement accueillie au Cameroun. Le public, fier et touché, voit dans Indomptables un portrait sensible d’une société complexe, qui avance malgré ses failles. En signant un récit réaliste, intime et profondément attentif à son contexte, Thomas Ngijol confirme qu’il est capable de se réinventer.

En compétition à Montréal dans la catégorie Visages de la francophonie, le long métrage résonne aussi à travers la diaspora francophone. Avant sa sortie en salle, le film a été sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes de Cannes au début de l’année 2025. Il sortira au Québec en décembre.

Commentaires

Une réponse à “Indomptables, un polar sous la chaleur camerounaise”

  1. Avatar de Philippe

    Je salue cette critique de haut niveau qui reflète rigueur et justesse. Les mots sont bien choisis et le texte transpire une fluidité ultra fine. Bravo à l’auteure! Hâte de lire ta prochaine critique. 😃

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *