« Il arrive que les réalisateurs disent au partenaire de scène d’étrangler la comédienne sans l’avertir », révèle la sexologue et coordonnatrice d’intimité Laurence Desjardins. Ce problème est une des raisons pour lesquelles plusieurs se tournent vers la pornographie féministe.
« La pornographie, ce n’est pas un milieu que je considère éthique. [L’idée] d’une pornographie féministe me réconforte un peu », témoigne Kemar, une étudiante en sociologie à l’Université de Montréal, qui consomme de la pornographie féministe depuis quatre ans.
« J’ai remarqué que les scénarios sont plus tournés vers le regard féminin et qu’ils sont plus réalistes. Il y a moins de performance », dit-elle.
La sexologue Myriam Daguzan Bernier explique que « la pornographie féministe est différente et axée sur la diversité, autant sur la diversité des corps, la diversité culturelle, des identités, des sexualités, des érotismes ».
« La pornographie féministe est faite par des femmes, des personnes non binaires ou trans et se centre sur le plaisir de celles-ci », explique pour sa part Julie Lavigne, professeure de sexologie à l’UQAM.
Bien que la définition de la pornographie féministe varie légèrement d’une personne à l’autre, son but reste le même : offrir une représentation plus réaliste de la sexualité, tout en respectant le bien-être des comédien(ne)s.
Bien traiter ses protagonistes
Produire des films de pornographie féministe, c’est s’engager à bien s’occuper des acteurs et actrices. « Généralement, pour la pornographie féministe, il faut payer [pour y accéder]. Donc, les acteurs et les actrices sont payé(e)s décemment », affirme Julie Lavigne. Ils et elles ont également des pauses fréquentes et travaillent avec des producteurs et des productrices qui priorisent le consentement.
« Je pense que c’est important de savoir que les acteurs sont bien traités, bien payés, qu’ils sont respectés dans leur travail et en tant que personnes », estime l’étudiante Kemar.
Sur certains plateaux, il y a des coordonnateurs et coordonnatrices d’intimité. Cette pratique peu commune sert à protéger le bien-être et la dignité de ceux et celles qui jouent dans des films érotiques féministes. C’est le cas de la sexologue Laurence Desjardins, qui a été coordonnatrice d’intimité sur un plateau d’Erika Lust, une productrice suédoise de pornographie féministe, reconnue dans le milieu.
Le rôle de Mme Desjardins consistait à s’assurer que la planification de la journée de la comédienne est respectée et qu’il n’y a pas de « surexposition de nudité inutile ».
« Leur corps, c’est leur outil de travail, mais ils ont aussi droit à la pudeur », tranche-t-elle. Même si les comédien(ne)s s’engagent à être nu(e)s pendant le tournage, ils et elles doivent pouvoir se vêtir entre les scènes.
Mme Desjardins ajoute que la présence d’une coordination d’intimité sur les plateaux de pornographie est importante, car il arrive que les comédien(ne)s ne reçoivent pas d’instructions claires. « Le jeu qui va se passer peut déraper très rapidement », affirme-t-elle.
Combattre les stéréotypes
« Toutes les inégalités qu’on voit dans la société se reproduisent dans la pornographie, parce que la pornographie, c’est une représentation de notre société », avance la sexologue Myriam Daguzan Bernier.
Selon elle, la pornographie grand public place souvent les hommes dans une position de domination et les femmes dans une position de soumission.
Dans la pornographie grand public, elle observe « souvent » des violences envers les femmes et les personnes issues de minorités visibles. La sexologue soutient que la pornographie féministe s’oppose à des représentations stéréotypées de la sexualité en « reproduisant moins les violences, en acceptant une diversité de corps et en présentant des scénarios qui sont plus réalistes ». Pour offrir une meilleure représentation à leur public, des sites de pornographie, comme PinkLabel.TV, engagent des comédien(ne)s de couleur, queer ou trans.
Le plaisir pour tous et toutes
« Une pornographie mainstream [grand public] classique est centrée sur l’éjaculation pénienne et le plaisir des hommes », indique Julie Lavigne. Au contraire, la pornographie féministe priorise plutôt le plaisir féminin, souvent ignoré, dit-elle.
« La pornographie féministe a un regard qui va s’éloigner du male gaze [regard masculin] et qui va plus s’approcher de ce qui pourrait exciter une femme », affirme Laurence Desjardins.
Elle explique que la pornographie « commerciale » présente la femme comme un « objet de consommation ». Les contenus féministes sont, à son avis, bien moins déshumanisants et sont axés sur la communication et la séduction.
Malgré sa vocation féministe, ce type de pornographie n’est pas réservé qu’aux femmes. « Ce n’est pas parce que c’est féministe que ça ne s’adresse pas aux hommes. Il y a quelque chose qui peut être très excitant dans la pornographie féministe pour tous », insiste Laurence Desjardins.
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