Trop souvent, soutenir une cause révèle le mépris d’une autre.
Si les seules fois où une personne prend position pour l’émancipation des femmes, ça se fait au détriment d’un autre groupe de la société, je ne peux pas m’empêcher de remettre en question le but de ce discours. Ce positionnement tend à révéler davantage le mépris de ce groupe visé et une instrumentalisation du féminisme.
Ce concept a un nom : le fémonationalisme. Il a été forgé et popularisé par Sara R. Farris, sociologue britannique, dans son ouvrage In the name of women’s rights, the rights of feminism, publié en 2017.
Saaz Taher, chercheuse postdoctorale au Département des arts, de la culture et des médias de l’Université de Toronto, résume ce concept comme « l’instrumentalisation de l’égalité de genre et des discours féministes à des fins politiques, pour alimenter [surtout] des campagnes politiques anti-immigration et anti-islam ». Il y a aussi l’homonationalisme pour parler du même phénomène, avec l’instrumentalisation de la lutte des droits LGBTQ.
Depuis plusieurs années, cette rhétorique est utilisée pour dévaloriser ces groupes, et il y a des conséquences à ces discours, au-delà de la justification de politiques d’exclusion. Ces propos alimentent une vision unidimensionnelle et stéréotypée de ces communautés dans la population et les stigmatisent davantage.
Cela dit, aucune structure n’est épargnée de sexisme. Il y a des discussions et des critiques à propos du sexisme ou de l’homophobie à tenir au sein de ces communautés, sans que ce soit un sujet tabou.
Tenons ces conversations, mais tenons-les correctement, sans que des discours racistes ou xénophobes s’entremêlent. Et n’oublions pas que ces discussions doivent se tenir tout autant dans d’autres sphères de la société.
Ce n’est pas parce qu’il y a des problèmes de sexisme ou d’homophobie au sein de cultures non occidentales que l’Occident fait nécessairement bonne figure.
Il faut être capable de critiquer ce qui se passe chez nous. « D’être capable de voir les enjeux de pouvoir et les rapports de domination ailleurs, mais de ne pas être capable de les critiquer chez soi, là, il y a un problème », souligne Taher. Au-delà de la condamnation morale, il y a une infériorisation de l’autre qui se met en place et, par conséquent, « une réaffirmation de la supériorité morale, culturelle de l’Occident ».
Oui, la situation des femmes afghanes sous le régime des talibans ou celle des femmes iraniennes est évidemment inadmissible, mais on observe aussi un recul des luttes aux États-Unis, par exemple, avec le reversement de Roe c. Wade ou la popularité grandissante des discours masculinistes. Ce recul contamine déjà le Canada.
Il est là, le piège de se considérer supérieur(e) moralement puisque, selon Taher, « lorsqu’on formule ce genre de critiques, on se construit, nous, comme ayant terminé ce travail-là de la lutte féministe, de la lutte pour les droits LGBTQ ».
On peut alors se demander où se situe la ligne de la critique saine et le mépris. Taher soulève une bonne question : « Est-ce que les arguments féministes sont une fin en soi, ou est-ce que c’est un moyen ? » Je trace la ligne lorsque le féminisme devient un moyen pour justifier une condamnation morale de ces communautés.
Selon l’experte, « si on veut avoir une discussion critique et nuancée, il faut déjà pouvoir s’informer de la réalité de terrain, des luttes politiques, historiques, militantes des communautés dont on parle et des pays d’origine de ces communautés dont on parle. »
L’énergie consacrée à dévaloriser l’Autre devrait ainsi être réinvestie pour éviter que les conditions des femmes et des personnes LGBTQ reculent. Il me paraît alors nécessaire de se consacrer à renforcer ses propres structures pour une société plus égalitaire, car, quand le mépris fait trop de bruit, nos propres enjeux tombent dans l’oubli.
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