«Les diplômés en arts visuels sont laissés à eux-mêmes»

À la veille de leur graduation, plusieurs finissant(e)s du baccalauréat en arts visuels et médiatiques, en particulier du profil pratique artistique, se sentent peu outillé(e)s pour l’aspect « travailleur autonome » du métier d’artiste. « C’est comme si on m’avait pitché dans le vide », raconte une finissante.

Marie-Laurence Lussier a gradué l’automne dernier du baccalauréat en arts visuels et médiatiques avec l’ambition d’enseigner au collégial en arts visuels. Pour devenir professeure au cégep, elle doit d’abord développer une carrière artistique, chose qui s’avère plus difficile que prévu.

Marie-Laurence pratique principalement la céramique et la peinture à l’huile. Pourtant, à Montréal, peu d’endroits ont des fours à céramique où elle peut réaliser ses œuvres. Idem pour les systèmes de ventilation, nécessaires à sa pratique de la peinture à l’huile.

En graduant du baccalauréat l’automne dernier, elle a perdu du jour au lendemain l’accessibilité aux ateliers de l’UQAM où plusieurs médiums étaient à sa disposition. « Les diplômés en arts visuels sont complètement laissés à eux-même », estime-t-elle. À son avis, le cursus du programme est en partie à blâmer pour ce manque de préparation au marché du travail. « Je ne sens pas qu’à l’UQAM j’ai appris l’aspect travailleur autonome du métier d’artiste », avoue-t-elle. 

Lili-Anne Malo, finissante du baccalauréat en arts visuels et médiatiques, partage cet avis : il faudrait miser davantage sur l’aspect « gestionnaire ».

« Apprendre comment se gérer comme artiste autonome et tout ce qui est salarial, c’est un morceau qui manque. »

Lili-Anne Malo, finissante du baccalauréat en arts visuels et médiatiques

Il s’agit d’un sentiment partagé par d’autres étudiant(e)s rencontré(e)s par le Montréal Campus, mais qui ont préféré ne pas témoigner.

Une réforme en vue

Manon De Pauw, directrice des programmes de premier cycle d’arts visuels, se dit à l’écoute des préoccupations des étudiant(e)s. C’est pourquoi un comité et elle-même se penchent sur la question d’une réforme du baccalauréat. « Nous sommes en train de revoir la grille de cheminement, changer certains cours et intégrer cet aspect professionnalisant dans un cours qui s’appellera probablement “Portfolio”, parce que ça fait partie des demandes des étudiants », explique-t-elle, en accentuant l’importance d’un portfolio à l’intégration dans le milieu professionnel.

Selon Marie-Laurence Lussier et Lili-Anne Malo, il s’agit d’un pas dans la bonne direction. « Il faudrait que ça vienne beaucoup plus tôt dans notre parcours. Concrètement, on a appris à faire des textes de démarche artistique au dernier cours [du baccalauréat] », regrette Marie-Laurence. Un texte de démarche artistique est essentiel au travail d’artiste autonome, explique la professeure Manon De Pauw. Cela permet par exemple d’effectuer une demande de subvention au Conseil des arts du Canada.

Différentes portes de sortie

Lili-Anne Malo vient de graduer du baccalauréat en arts visuels et médiatiques. Ses plans pour la suite? Une maîtrise en management des entreprises culturelles au HEC. Pour Lili-Anne, il s’agissait de la « suite logique » après le baccalauréat; une vision partagée par plusieurs étudiant(e)s qui poursuivront leur parcours à la maîtrise. « Généralement, il y a quatre chemins : devenir artiste autonome, l’enseignement, devenir commissaire ou travailler à la conservation d’œuvres », constate la finissante.

La professeure Manon de Pauw a elle-même gradué d’un baccalauréat en arts visuels à l’Université Concordia en 1997. À la fin de son parcours, elle s’est intégrée dans le milieu des centres d’artistes où elle est devenue travailleuse culturelle pendant quelques années. « Être artiste, ce n’est pas une vie confortable en général. Je connais très peu de gens qui vivent seulement de leur art, surtout aujourd’hui. C’est pourquoi il faut s’outiller dans différents domaines », explique Manon De Pauw.

C’est le choix qu’a fait Marie-Laurence Lussier en misant sur une formation comme technicienne de scène, qui l’occupe davantage durant l’été, la période des festivals. Sa collègue Lili-Anne Malo travaille quant à elle en restauration. Nombreux et nombreuses sont ceux et celles qui ont à financer leur art par un emploi extérieur, constate la finissante. 

Sortir du milieu académique

Plusieurs expositions, bourses d’excellence et stages auprès d’artistes sont offerts aux étudiant(e)s du programme de l’UQAM, affirme Manon De Pauw. Selon la professeure, le partenariat durable entre la Galerie de l’UQAM et la Place des Arts ou d’autres partenariats plus ponctuels, comme celui avec les habitations Jeanne-Mance, permettent aux étudiant(e)s une visibilité et une exposition dans un contexte hors UQAM. « Ce genre d’expériences permettent aux étudiants de se sortir du milieu académique », ajoute-t-elle. Ces expériences imitent les contraintes spécifiques qu’un(e) artiste rencontre sur le marché du travail, ce qui est très professionnalisant, à son avis.

Autant Marie-Laurence Lussier que Lili-Anne Malo reconnaissent l’importance de ces ressources dans leur parcours. L’exposition des finissant(e)s de cette année, Départ collectif, a été marquante pour Lili-Anne. « Même si nous avons dû financer notre propre exposition finale, parce qu’on avait un budget de seulement 80$, je suis vraiment fière du résultat », indique-t-elle. 

Pour Marie-Laurence Lussier, c’est l’expérience de stage qui a été particulièrement significative. À son avis, ajouter des visites dans des ateliers d’artistes ou encore des rencontres avec des centres d’artistes serait primordial, sans mettre de côté l’importance des acquis académiques. 

D’après Lili-Anne Malo, il faudrait jumeler certains aspects pratiques et théoriques dans un même cours. « J’aurais aimé pouvoir essayer et apprendre la peinture à l’huile, mais aucun cours n’existait pour apprendre à en faire. C’est surtout du “débrouille-toi, on va voir ce que tu fais” », résume-t-elle. À son avis, le baccalauréat en arts visuels et médiatiques se doit d’offrir une place égale à l’apprentissage théorique, notamment à travers des cours d’histoire de l’art, qu’à l’apprentissage de divers médiums artistiques.

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