Environ 1 % des étudiants et étudiantes qui tranche pour tout le monde : voilà pourquoi les grèves sont aussi fréquentes à l’UQAM. Plusieurs associations étudiantes sont prises d’assaut par une frange militante, qui a le champ libre pour voter des grèves et pour défendre des convictions politiques au nom de tous les étudiants et les étudiantes.
Le 6 novembre dernier, en assemblée générale, une trentaine de personnes a décidé pour quelque 2500 membres de l’Association facultaire étudiante des langues et communication (AFELC), qui ont dû manquer deux jours d’école.
La faible implication de la population uqamienne au sein des associations étudiantes laisse le plein pouvoir aux quelques personnes qui s’investissent. Les prises de position tranchées et le militantisme assumé des associations suscitent cependant une remise en question quant à la représentativité de tous leurs membres.
Petit nombre, grand impact
« J’ai un malaise avec le fait qu’on prenne d’aussi grandes décisions avec un si petit nombre d’individus », lance Anne Montplaisir, responsable aux affaires sociopolitiques à l’AFELC. Le quorum de son association est placé à 0,8 %, soit une vingtaine de personnes. À la dernière assemblée générale de grève, les grèves ont été votées sans aucune opposition.
« Impossible qu’à une trentaine de personnes, on représente les quelque 2500 membres. » – Anne Montplaisir
« Si plus de gens venaient aux assemblées générales et s’exprimaient, les décisions auraient plus de sens, peu importe leur orientation », croit Anne Montplaisir. Dépendamment de l’association étudiante, seule la présence d’entre 0,7 % et 2 % des membres en assemblée générale est requise pour statuer sur les grèves, le budget et les prises de position.
Ces associations fonctionnent sur les bases de la démocratie directe. Chaque membre peut jouer un rôle sur les décisions, notamment en prenant part aux assemblées générales.
Le Montréal Campus a rencontré un groupe de membres de l’Association facultaire étudiante de science politique et de droit (AFESPED), dont le quorum est fixé à 2 %, qui souhaitait exprimer ses réserves à cet égard. Il juge que « c’est déjà bas pour une association se disant démocratique et représentative ». « Les décisions prises en assemblée seront d’autant plus fortes [lorsqu’elles] refléteront sans équivoque la volonté de la majorité », explique le service des communications de l’UQAM par courriel en qualifiant la situation de « désolante ».
Annuler pour militer
Au moment où ces ligne étaient écrites, l’AFESPED avait voté huit journées de grève depuis le début de la session, en soutien à la coalition Rage climatique, pour la salarisation de tous les stages, pour dénoncer le massacre du peuple palestinien et en soutien au Front commun.
« La grève, c’est aussi de libérer du temps militant parce qu’avec nos études, on n’a pas le temps d’aller à des manifestations », dit Rémi Grenier, responsable des communications à l’AFESPED.
Pour d’autres, les grèves représentent plutôt des réorganisations de plans de cours, de la matière coupée, des conférences annulées. « Rater des cours, c’est un geste très important, surtout pour les étudiants qui aspirent à rejoindre un ordre professionnel », affirme un membre de l’AFESPED*.
En contexte de grève, de bonnes « capacités d’adaptation » sont essentielles pour garder le cap, selon le groupe. Si l’AFESPED est régulièrement en grève, c’est en partie à cause de son approche « de combat », selon Rémi Grenier. À force de se heurter à des portes closes en tentant de négocier avec la direction de l’UQAM, l’AFESPED « n’ira pas toujours négocier », prétend-il. « Des fois, on voit des gains après cinq ans de négociations, tandis qu’avec des moyens de pression, on voit des gains en une session. »
Les grèves à l’UQAM semblent être devenues monnaie courante. La professeure titulaire au Département de science politique de l’Université de Montréal Pascale Dufour explique que « l’utilisation récurrente d’un même moyen de pression demande une créativité si on veut qu’il continue à attirer l’attention ».
La grève du 9 novembre pour la Palestine n’a d’ailleurs reçu aucune couverture médiatique autre que celle du Montréal Campus.
Règlements remis en question
Les statuts et règlements sont les principaux guides des associations étudiantes. S’ils sont censés guider les procédures et les décisions, leurs articles sont sujets à l’interprétation, ce qui laisse place à certains cafouillages.
À l’AFELC, la légitimité de la grève pour la Palestine a été remise en cause par des membres, a avoué Marek Cauchy-Vaillancourt, responsable de la coordination de l’association. La proposition de cette grève s’est jointe à l’ordre du jour d’une assemblée générale qui portait pourtant sur une autre grève concernant la salarisation des stages, ce qui a semé le doute quant à la recevabilité d’un tel ajout. Idem à l’AFESPED : alors que l’assemblée devait débattre de la tenue d’une seule grève, deux autres causes à défendre se sont ajoutées en cours de route. Résultat : cinq journées de grèves ont finalement été votées.
« C’est malheureux quand un exécutif qui a été élu décide de tronquer ses propres règlements. Le præsidium n’aurait pas dû accepter cette proposition », dénonce un membre de l’AFESPED*.
Les associations se prononcent
Les associations ont ainsi choisi un camp dans un enjeu largement polarisé mondialement : le conflit Israël-Hamas. Des associations se sont fermement positionnées, au nom de tous leurs membres, du côté palestinien.
Alors qu’au même moment, une bagarre éclatait à l’Université Concordia et des coups de feu étaient tirés sur des écoles juives, les associations étudiantes paraient le pavillon Judith-Jasmin de drapeaux palestiniens en scandant « Israël terroriste, UQAM complice ».
Après une journée de manifestation pro-Palestine, l’Association générale des étudiants en communication (AGEC) a fait sourciller plusieurs de ses 700 membres en les sondant sur leur position sur le conflit avec un référendum. Le comité exécutif souhaitait prendre le pouls de ses membres avant de « se positionner contre l’apartheid israélien » et de diffuser le contenu journalistique qu’il juge « de qualité ».
Le pouvoir de tenir un référendum ne figure pourtant pas dans les statuts et règlements de l’AGEC.
Rien n’encadre la tenue d’un tel vote. Lors de son envoi, ni sa date de fin ni la manière de colliger les données n’étaient spécifiées. Sans le couvert de l’anonymat, les membres devaient inscrire leurs noms et leurs codes permanents sur le formulaire avant de répondre. Ce n’est que cinq jours plus tard que l’AGEC a informé ses membres que le scrutin avait toujours lieu et qu’il prendrait fin le 22 novembre.
Une de ses instigatrices, Marianne Richard, qui est trésorière à l’AGEC, interprète différemment les statuts et règlements. « En théorie, il n’y a aucune mention dans les statuts et règlements qui exclut que l’AGEC peut prendre de nouvelles initiatives pour sonder sa population », dit-elle.
Marianne Richard précise toutefois que les statuts et règlements ont primauté, ce qui fait qu’un membre de l’AGEC pourrait remettre en question la validité de ce référendum lors de la prochaine assemblée générale, qui aura lieu à l’hiver 2024. Quelque 139 membres se seraient prononcés en majorité en faveur des propositions, selon les chiffres de l’AGEC, que le Montréal Campus n’a pu vérifier. L’association dit pouvoir s’appuyer sur ces résultats pour coordonner ses actions.
Au même moment, la Cour supérieure du Québec ordonnait à une association étudiante de l’Université McGill de ne pas appliquer ses politiques pro-Palestine après qu’une étudiante de confession juive a dénoncé leur caractère haineux.
En réaction, l’AGEC a dénoncé « toute manifestation violente ou discriminatoire », sans reculer pour autant.
Majorité silencieuse
Les responsables des associations s’entendent pour dire que leurs membres s’impliquent peu, tant au niveau des activités que lors des assemblées générales. Ils et elles blâment « l’effritement de la mobilisation causé par la pandémie ».
Les associations tentent de susciter l’intérêt de la population uqamienne avec des affiches, des courriels et des publications sur les réseaux sociaux. Malgré tout, les quorums peinent parfois à être atteints pour la tenue d’assemblées générales, qui se déroulent presque toujours en présentiel.
À cet effet, la tenue d’assemblées en comodal, ou simplement en ligne – comme c’était le cas durant la pandémie – fait souvent l’objet de débats.
« La démocratie étudiante est un enjeu majeur. L’ensemble des étudiantes et des étudiants doit pouvoir faire entendre sa voix », indique le service des communications de l’UQAM par courriel. « Rendre accessible le vote électronique serait une façon d’améliorer la démocratie étudiante. L’UQAM possède cet outil technologique qu’elle peut mettre à la disposition des associations. »
Le 1er novembre dernier, la tenue d’une assemblée générale extraordinaire de l’AFESPED a dû être reportée, faute de participation à l’assemblée. Lors de la reprise de cette assemblée, un avis de motion proposant que les assemblées générales devraient être strictement en présentiel a tout de même été déposé.
Une membre de l’AFESPED* a également déploré des comportements hostiles lorsque certaines personnes osaient prendre la parole en assemblée, ce qui justifierait qu’ils n’aient pas envie d’y retourner.
« Il y a un manque de respect envers les étudiants qui sont contre les mandats proposés lors des assemblées générales. On entend des ricanements ainsi que des soupirs », affirme-t-elle.
Accueil hostile
Que peuvent faire les membres qui ont une opinion différente de celle de leur association ? « S’ils veulent changer des choses, c’est par le rapport de force d’un mouvement collectif contre celui d’un autre qu’ils vont parvenir à modifier l’allégeance », selon la professeure titulaire du Département de science politique de l’Université de Montréal Pascale Dufour.
Sophia*, qui s’est impliquée auprès de différentes associations de l’UQAM, croit que la force du nombre n’est pas suffisante. « La meilleure façon de faire changer les choses, c’est d’avoir un poste au comité exécutif, car il donnera un peu de pouvoir décisionnel sur les enjeux qui seront débattus en assemblée, explique-t-elle. Ce sont des stratégies qui ont été adoptées dans le passé. »
Selon son expérience, elle témoigne d’un accueil bien différent. Elle décrit les comités exécutifs de certaines associations facultaires comme étant des terrains de chasse gardée et dénonce le rapport de force qu’ont les associations face au reste de la population étudiante. Certaines associations sont dotées de cahiers de positions ayant pour but de préserver la ligne de pensée historique.
Sophia soutient qu’il est difficile de faire valoir des opinions qui divergent de ces positionnements. Il s’agit pourtant du droit des étudiants et étudiantes qui payent une cotisation à l’association étudiante. « Si quelqu’un apporte un projet ou une opinion qui va à l’encontre de celles que prône l’association, [le comité exécutif] ne considère même pas la proposition », explique-t-elle.
Difficile de lâcher prise
La responsable des affaires uqamiennes de l’Association facultaire étudiante de sciences humaines (AFESH), Ariane Monzerolle, explique que « les gens qui sont à l’exécutif sont dans le mouvement militant depuis longtemps. Ils deviennent absorbés par ce qu’ils font, alors ça peut devenir difficile de lâcher prise ».
En effet, les membres du conseil exécutif de l’association auraient pour mission de se ranger du côté des positions de l’association sans faire prévaloir les leurs. En assemblée générale, ils ont cependant le droit de faire valoir leurs opinions, puisqu’ils y participent à titre de membre de l’association.
À ce sujet, Marek Cauchy-Vaillancourt de l’AFELC soutient que « l’espace politique n’est pas neutre, mais on essaie de ne pas influencer les membres lors des assemblées générales ».
Lors de l’assemblée générale de l’AFELC du 6 novembre, une étudiante a demandé l’exemption de son cours des grèves puisqu’un conférencier était invité.
Celle-ci s’est fait répondre par M. Cauchy-Vaillancourt que des « demandes comme la sienne font baisser le poids des revendications de l’AFELC ». Les membres des conseils exécutifs ont pourtant été unanimes : ils souhaitent créer « des espaces inclusifs » et ouverts à la « diversité d’opinion ».
Qu’en disent les règlements ? L’UQAM et la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants s’entendent sur une définition minimaliste du rôle des associations étudiantes.
« On ne fait pas que déclencher des grèves. » – Rémi Grenier, responsable des communications à l’AFESPED
Elles ont pour fonction de représenter des étudiants et de défendre leurs intérêts. « Personne de l’externe ne peut choisir », explique Pascale Dufour. Il revient donc strictement à l’assemblée générale et aux membres qui y participent de débattre pour gérer leur organisation, précise-t-elle. Avec une faible implication et en l’absence de débat ou d’opposition au sein des assemblées générales, cette liberté accordée aux associations semble avoir donné lieu à un déséquilibre.
Les associations sont responsables de défendre les étudiants et les étudiantes en cas de litige, de les représenter auprès des instances de l’Université, d’organiser des activités et de fournir des ressources, entre autres. Chaque association étudiante manipule et gère les centaines de milliers de dollars que leur octroient leurs membres par le biais des cotisations perçues avec les frais de scolarité. Le service des communications de l’UQAM dit remarquer qu’un « certain nombre d’étudiants s’interrogent sur les modes de gouvernance des associations étudiantes ».
Les étudiantes et étudiants consulté(e)s s’entendent pour dire que la réflexion critique sur les enjeux sociaux et l’engagement social forgent l’identité de l’UQAM et qu’ils contribuent à son rayonnement. Entre les murs de l’université, la vitalité des débats et le poids des luttes étudiantes semblent cependant être mis à mal par la passivité des membres et les impacts des grèves sur les parcours étudiants.
*L’anonymat a été accordé à ces personnes, car elles craignent des représailles.
Mention photo : Chloé Rondeau
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